SONDAGE EXCLUSIF – De quoi les Suisses ont-ils peur pour leur retraite?
PRÉVOYANCE
Pétris de doute quant au montant de leurs rentes, les Suisses interrogés cette année semblent perdus et inquiets pour leur avenir. Et plutôt frileux à changer le système, à la veille de la votation AVS 21 du 25 septembre prochain

Le 8 septembre 2022, «Le Temps» et «PME», en partenariat avec Groupe Mutuel, organisent la 3e édition du Forum Prévoyance: «Retraites: vers une f(r)acture programmée?» Découvrez le programme et inscrivez-vous sur le site de l'événement
Si la confiance des Suisses dans le système de retraite semble pérenne, plusieurs brèches apparaissent lorsque l’on y regarde de plus près. Sur les 1241 personnes interrogées pour le sondage du Temps réalisé par l’institut de recherche M.I.S Trend, 60% expriment ainsi leur confiance générale. Les doutes grandissants se focalisent en revanche sur le 2e pilier dans un contexte de baisse des nouvelles rentes et des taux de conversion: 68% des Suisses s’estiment floués et parlent même de «vol des rentes». Ajoutez à cela un soupçon d’inflation, que les participants, à 75% ici, imaginent s’accentuer encore au-delà des 3%, et vous obtenez le cocktail parfait pour une inquiétude généralisée, encore davantage marquée chez les plus âgés, et chez les femmes. Pour ces dernières, la votation AVS 21 du 25 septembre prochain, visant notamment à relever l’âge de leur départ à la retraite d’un an, sera décisive.
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Les sondés craignent en premier lieu de voir leurs revenus à l’âge de la retraite fondre comme neige au soleil: 59% se disent ainsi préoccupés par cette question. Une large majorité d’entre eux (72%) se préparent même à devoir réduire leur niveau de vie. Mais alors, dans ce climat anxiogène, se montrent-ils (enfin) prêts à réformer le système de fond en comble ou l’inertie en place depuis 1997 autour de la prévoyance demeurera-t-elle? Deux réponses chiffrées: il n’y a toujours aucune adhésion large à l’augmentation de l’âge de la retraite (71% y sont défavorables) ni à une baisse du taux de conversion du 2e pilier (53% se positionnent contre). Ces tendances se vérifient chaque année, alors que nous publions avec M.I.S Trend la troisième édition de ce sondage.
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La planète attendra
Dans ce contexte de peur et de schizophrénie, les interrogés s’y perdent même quant au bien-fondé actuel des placements durables de leurs caisses de pension. Alors que 26% souhaitent que la priorité soit donnée à ce domaine, dans le même temps, 34% d’entre eux considèrent que leur caisse de pension devrait profiter de la hausse du prix de certaines matières premières et donc investir dans les énergies fossiles. Le système de prévoyance suisse n’est plus à une contradiction près.
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- De manière générale, est-ce que les revenus que vous toucherez à votre retraite vous préoccupent ou non à l’heure actuelle?
Oui, les Suisses sont de plus en plus préoccupés par le niveau de leurs rentes: à 59% en 2022, contre 52% en 2021 et 50% en 2020. Une inquiétude partagée entre hommes et femmes, quelle que soit sa sensibilité politique, mais qui s’accentue à mesure que l’on vieillit et qui se montre aussi plus marquée pour les foyers les plus modestes.
- Pour chacune des réformes possibles, ci-dessous, du système de prévoyance retraite en Suisse, veuillez indiquer si vous y êtes favorable ou non.
Pas d’élan clair du côté des différentes réformes. Une très large majorité, 71%, s’oppose toujours à l’augmentation de l’âge de la retraite. Du côté de la prévoyance professionnelle, un quart des sondés se montrent sceptiques quant à la baisse du taux de conversion tandis que 53% s’y opposent. C’est un véritable sujet d’inquiétude. Concernant le taux de cotisation égal à tout âge, c’est le sujet qui remporte le plus d’adhésion, à 53%.
- Etes-vous favorable à une augmentation de l’âge de la retraite?
Si l’on se penche en détail sur cette question, on voit que le non l’emporte massivement. Il est encore plus marqué pour les femmes, à 78%, et pour les plus âgés d’entre nous, à 74%. On s’y oppose plus fermement à gauche, sans surprise, tandis que les foyers les plus modestes montrent un plus grand refus. La société est loin de franchir le pas.
- Le système de prévoyance retraite en Suisse est basé sur trois piliers. Pour chacun, veuillez indiquer votre niveau de confiance par rapport à sa solidité financière?
A la lecture de ce graphique, nul doute que la solidité financière du système de retraite dans son ensemble est incontestée. C’est stable du côté de l’AVS. La confiance apparaît également solide dans le 2e pilier ces trois dernières années. Le contexte économique est pourtant tendu autour de la prévoyance professionnelle. Le 3e pilier tire son épingle du jeu avec une belle popularité, à 73%.
- Compte tenu des diverses baisses des taux de conversion des rentes depuis plusieurs années, certains considèrent qu’on assiste à «un vol des rentes». Vous-même, partagez-vous cette opinion ou considérez-vous que ces baisses de taux sont nécessaires pour assurer le système?
Le «vol des rentes» se confirme dans l’opinion suisse. A 68%, contre 65% l’an passé, les 1241 personnes interrogées dénoncent la baisse des taux de conversion et se sentent pour le moins lésées. A commencer par les femmes (69%) et les plus de 45 ans (77%). Les électeurs de gauche et de droite crient au scandale d’une seule voix, avec une proportion similaire de mécontents.
- A l’heure actuelle, craignez-vous de devoir vendre votre maison ou appartement à la retraite en raison d’une rente vieillesse trop basse?
Cette peur de devoir vendre son bien, pour s’assurer un niveau de vie correct, demeure cette année sans réellement s’accentuer (42% contre 40% en 2021). Cette inquiétude des plus concrètes ressort davantage chez les femmes (à 46%), les quadragénaires (à 48%), au centre et à droite de l’échiquier politique, et chez les moins fortunés.
- Pour votre retraite, si vous deviez choisir maintenant, opteriez-vous plutôt pour un capital de 1 million de francs ou plutôt pour une rente de 2e pilier de 4000 francs par mois jusqu’à votre décès?
Cette question est largement ressortie dans l’actualité des derniers mois. Capital ou rente mensuelle au moment de la retraite? Les indécis sont nombreux cette année (11% contre 7% l’an passé). Une majorité des sondés, 49%, optent toujours pour la rente. Ils étaient 52% en 2021 à faire ce choix. La rémunération du capital séduit même si la sécurité des rentes semble toujours primée à ce stade.
- On parle beaucoup d’inflation depuis la pandémie et encore plus avec le démarrage de la guerre en Ukraine. Cette inflation a été de 0,6% en 2021 en Suisse, mais récemment elle a dépassé les 3%. Pensez-vous que dans les 12 prochains mois l’inflation va encore s’accentuer et continuer de dépasser les 3%?
En matière de hausse des prix, ce n’est pas l’optimisme qui prédomine. Ainsi, à 75%, les Suisses se montrent inquiets et pessimistes sur ce sujet, considérant que l’inflation va s’accentuer et ce, au-delà des 3%, un seuil déjà dépassé en juin et juillet derniers où la hausse des prix a atteint les 3,4%. Ce sentiment est partagé, quels que soient la zone linguistique, le sexe, l’âge ou encore la sensibilité politique. Le contexte est anxiogène pour tous.
- A l’heure actuelle, les conseils de fondation des caisses de pension sont composés à parts égales de représentants des employeurs et des assurés. Certains considèrent que les conseils de fondation devraient comprendre également des représentants des retraités. Vous-même, êtes-vous favorable ou non à cette idée?
Il est ici question de représentativité, et donc des retraités, dans les conseils de fondation des caisses de pension. Vous y êtes à une large majorité (61%) favorable. Quels que soient votre sexe, votre âge ou votre couleur politique, ce point semble bel et bien susciter l’adhésion. Qui mieux que les principaux intéressés pour siéger dans ces instances?
- Selon vous, la priorité des caisses de pension doit être avant tout d’observer de manière stricte les critères du développement durable et d’investir dans les entreprises qui les respectent ou alors d’investir en veillant avant tout à la solidité financière des retraites?
Où placer l’argent? Votre cœur balance. Ou, plutôt, vous affirmez votre volonté de sécurité en faveur de la solidité financière, à 56%, contre 60% en 2021. Ce léger recul en faveur de la planète s’exprime aussi par une augmentation des indécis: 18% n’ont pas d’avis, hommes et femmes s’accordent et les plus âgés restent prudents. La gauche montre l’exemple, avec 41% en faveur du développement durable.
- Compte tenu de la situation actuelle, on assiste à une hausse du prix de certaines matières premières, notamment les énergies fossiles. Pensez-vous que votre caisse de pension devrait en profiter et investir dans ces énergies fossiles?
La question divise. Et nous ne sommes pas à une ambiguïté près. Si la question précédente soulignait votre appétence pour les placements durables, vous n’êtes pas contre l’idée de profiter de la situation économique: 34% des sondés affirment que leur caisse de pension devrait investir dans les énergies fossiles alors que les prix flambent. Un choix d’avenir? Les femmes se montrent plus indécises.
Fiche technique pour ce sondage 2022
Date: du 8 au 14 juin 2022
Echantillon: 1241 Suisses représentatifs âgés de 18 à 65 ans (505 en Suisse romande, 536 en Suisse alémanique et 200 au Tessin)
Méthodologie: prise d’information par internet
Marges d’erreur: sur le total: 2,8%, pour la Suisse romande et la Suisse alémanique: 4,4%, et pour le Tessin: 7%.
Sondage réalisé par l’Institut M.I.S Trend à Lausanne