10 h 45. Fabrice est sur le qui-vive. Un vol ciblé sur la base d’une analyse de risque mise à jour quotidiennement par les douanes vient d’atterrir à l’aéroport international de Genève. Spécialiste des contrefaçons, le douanier guette l’arrivée des bagages sur le tapis roulant. «Les valises sont un bon indicateur, explique-t-il. Lorsqu’elles sont fausses, elles contiennent très souvent d’autres imitations.»

A l’extrême opposé de l’aérogare, l’arrivée des marchandises est soumise à la même surveillance que celle des passagers. Sauf que Cathy ne scrute pas les sacs à main des touristes de retour de vacances. Pour cette experte en contrefaçon, c’est la provenance d’un colis ou son destinataire qui fait office de signal d’alerte. «On trouve de tout, explique la jeune douanière en déballant des cartons. Des chaussures de sport, des lunettes de soleil, des montres, des ballons de foot, des appareils électroniques. On a même découvert des pilules amincissantes contenant du Valium.»

Les faux médicaments sont un fléau récent qui s’est amplifié avec le commerce sur Internet. «On en parlait déjà à la fin des années 1990 lorsque j’étais étudiante en pharmaceutique, se souvient Ruth Mosimann. Mais c’était limité au tiers-monde et aux traitements contre la malaria.» Depuis, le phénomène a pris de l’ampleur. En 2012, le service de Swissmedic – institut suisse des produits thérapeutiques – géré par Ruth Mosimann a reçu 1070 colis avec des imitations ou des produits contenant des éléments non indiqués sur la notice d’emballage. Grâce aux campagnes de prévention, c’est moins qu’en 2011 (1299 colis) ou qu’en 2010 (1861), souligne Swissmedic. Mais c’est toujours quatre fois plus qu’en 2006. Basé à Berne, l’institut national a été mandaté par la Confédération pour tout ce qui concerne les médicaments illégaux. Lorsque les douaniers ont un doute sur l’authenticité d’un produit, c’est donc vers Ruth Mosimann et son équipe de six personnes – des scientifiques mais aussi d’anciens policiers – qu’ils se tournent. Contrairement aux saisies d’autres contrefaçons (sacs, montres, etc.) qui, elles, sont annoncées aux marques concernées directement.

Sur la base des renseignements fournis par des douaniers formés chaque année par Swissmedic pour reconnaître les vrais des faux, les experts décident de la saisie des produits ou non. Les médicaments confisqués sont alors envoyés à Berne tandis qu’une procédure administrative est ouverte contre le destinataire pour contravention à la loi sur les produits thérapeutiques. Les frais de procédure sont à sa charge (300 francs en général) à moins que ce dernier ne fasse appel.

«90% des médicaments qui arrivent chez nous finissent par être détruits», assure Ruth Mosimann, en disposant des exemples de contrefaçons sur son bureau. Preuve selon elle que le ciblage fonctionne. Et que l’œil des experts est suffisamment affûté pour qu’il ne soit pas toujours nécessaire de recourir à des analyses en laboratoire. L’épaisseur de la pilule, une faute d’orthographe sur l’emballage, l’hologramme de la marque collé de travers ou un simple scotch en guise de fermeture sont pour eux autant de signes qui ne trompent pas.

Les faux médicaments sont ensuite stockés au sous-sol du bâtiment, en attente d’être brûlés. Des cartons à moitié ouverts sont entreposés sur des étagères. On y trouve des copies de Viagra («le favori des faussaires»), de la fausse pénicilline, des anabolisants et bien d’autres substances dangereuses pour la santé. Les plus copiés sont ceux qui atteignent un certain prix. Comme ce flacon d’Avastin (Roche) saisi dans une clinique américaine voici quelques semaines. Un produit thérapeutique contre le cancer qui coûte 2000 francs l’ampoule sur le marché légal. «C’est le numéro du lot inscrit sur le flacon qui a intrigué les médecins, explique Ruth Mosimann. Il ne correspondait pas à celui du paquet.»

Les filières d’importation restent difficiles à démanteler. Dans le cas de l’Avastin, leur trace s’est perdue entre la Turquie et la Syrie. La grande majorité des faux médicaments sont toutefois fabriqués en Asie. En Inde et en Chine principalement. Des réseaux criminels «très bien organisés» se chargent ensuite de les acheminer en Europe et de les revendre en plus petites quantités sur Internet. «En ce moment, nous sommes confrontés à un produit amincissant, Li Da, fabriqué en Chine et distribué en Europe par une filière implantée au Royaume-Uni, raconte Ruth Mosimann. Un produit qui était déjà apparu il y a deux ans mais via l’Allemagne et l’Autriche.»

Un nouveau réseau s’est donc mis en place. Mais le produit, lui, est toujours aussi dangereux. Il contient plus de 20 milligrammes de Sibutramine, un agent synthétique très puissant dont les effets secondaires (psychose, troubles cardio-vasculaire, etc.) lui ont valu d’être retiré des marchés en 2010. «Sur le paquet d’emballage ne figurent que des herbes et autres produits naturels, explique Ruth Mosimann. Or, une capsule contient deux fois plus de Sibutramine que le médicament interdit à l’époque.»

«90% des médicaments qui arrivent chez nous finissent par être détruits»