Climat
La start-up romande compte désormais le fonds climatique piloté par Bill Gates parmi ses investisseurs. La société issue de l’EPFL utilisera l’argent levé pour valider sa technique de valorisation de la biomasse à des fins industrielles

Née en 2017 sur le campus de l’EPFL, Bloom Biorenewables (Bloom) pourra se targuer d’avoir été le premier investissement du fonds Breakthrough Energy Ventures Europe. Piloté par Bill Gates, ce nouvel acteur du capital-risque cherche sur le Vieux-Continent les technologies à même d’affranchir l’humanité de son addiction au pétrole. Aux côtés de deux autres fonds, il vient ajouter 1,1 million de francs aux 2,9 millions déjà levés par la société valdo-fribourgeoise.
Annoncé mardi, l’apport peut paraître dérisoire. Pour la jeune pousse, il promet beaucoup: «C’est un ticket d’entrée vers des fonds internationaux bien plus larges qui visent à soutenir des start-up visionnaires et disruptives, s’enthousiasme Remy Buser, directeur de l’entreprise. Cela nous offre des perspectives de financement importantes, nécessaires pour nos prochaines étapes de développement.»
L’humanité va devoir développer et déployer en trois décennies plusieurs techniques en parallèle
Pour en arriver là, Bloom doit tout d’abord lancer l’industrialisation de sa technique de valorisation de la biomasse. Désormais installée dans le parc d’innovation de Marly (FR), la start-up s’est alliée à la Haute Ecole d’ingénierie et d’architecture de Fribourg. Elle utilisera une série de ses installations pilotes pour affûter son innovation. «Cette collaboration nous permet de tester la chimie à l’échelle préindustrielle et de produire des échantillons en quantité suffisante pour nos premiers partenaires», indique l’entrepreneur.
A lire: Des start-up réinventent la technologie plastique
Le temps presse
Pour avoir un impact significatif, Bloom Biorenewables devra ensuite viser bien plus grand. Connue pour sa solution de capture du CO2, la société zurichoise Climeworks est également passée par là. «L’humanité va devoir développer et déployer en trois décennies plusieurs techniques en parallèle, note Remy Buser. Nous offrons une méthode pour mieux valoriser une ressource carbone renouvelable connue, les plantes.»
Lire aussi: Climeworks passe la vitesse supérieure
«Grâce à notre technologie, tout ce qui est produit aujourd’hui à partir du pétrole peut se faire à partir des trois composants de la biomasse, enchaîne Florent Héroguel, directeur des opérations et cofondateur de Bloom. Avec la lignine, on peut créer de nouveaux arômes. L’hémicellulose permet de faire du plastique biodégradable, proche du PET. Quant à la cellulose, elle a un grand potentiel pour produire des fibres textiles.»
Le test à grande échelle
Formulé tel quel, cela paraît d’une simplicité enfantine. Brevetée, la méthode développée pour extraire ces substances du bois ou des résidus agricoles a tout de même nécessité trois années de travaux à l’EPFL. Le fruit de ces recherches a raflé de nombreux prix, notamment le Swiss Technology Award. Reste à prouver que l’innovation résistera au passage à une production de masse.
«Bloom se positionne comme la première entreprise ayant réussi à transformer la biomasse en biocomposés, observe Eric Plan, secrétaire général de l’organisation CleantechAlps. Cette société est bien alignée avec la tendance suivie par l’industrie, et en revalorisant des déchets, elle a en plus une approche circulaire. Mais ce qui va notamment être déterminant, c’est la qualité qu’elle réussira à offrir en produisant à grande échelle.»
De la vanilline au fioul
Pragmatiques, les ingénieurs travaillent activement avec les acteurs de la filière qu’ils entendent couvrir. La semaine dernière, ils ont annoncé le lancement d’un partenariat avec le géant suisse du chocolat Barry Callebaut. L’objectif est de développer à partir d’écorces de noisette une alternative à la vanilline. Dans 90% des cas, cette substance est produite à partir de dérivés du pétrole.
Selon Remy Buser, leur nouvel investisseur vise un impact environnemental d’envergure. Il aimerait par exemple les voir cibler des marchés comme le fioul pour le transport maritime. Pour grandir, il faudra rapidement augmenter la force de frappe financière, raison pour laquelle une nouvelle levée de fonds est à l’agenda 2022. Objectif: rassembler 30 à 50 millions de francs afin de pouvoir construire une première bioraffinerie. «Pour convaincre les industriels, il faut qu’ils puissent constater que notre technologie marche à leur échelle», précise Remy Buser. Les associés entendent ensuite exploiter un système de licence.
La Suisse, si possible
Cette usine pilote, Bloom la voit idéalement en Suisse. Mais ce ne sera pas à n’importe quel prix: «Au niveau mondial, des fonds de plusieurs milliards sont prêts à être investis dans des modèles d’affaires comme le nôtre, relève Remy Buser. Il s’agit d’une opportunité sans précédent pour la Suisse de se positionner dans la lutte contre le changement climatique.»
A l’heure actuelle, l’agence fédérale Innosuisse et la promotion économique fribourgeoise soutiennent l’innovation. Mais les Pays-Bas, qui ont une stratégie de transition énergétique beaucoup plus agressive, ont déjà fait les yeux doux à Bloom.
Comme l’indique son nom anglais, la jeune pousse ne demande qu’à s’épanouir. Pour ses dirigeants, il n’y a plus une minute à perdre pour «réduire la dépendance mondiale au carbone fossile».
Lire enfin: Igor Ustinov, artiste et startuper ingénieux et inspiré