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Le streaming a explosé durant la pandémie

L’écoute de musique en ligne a généré plus de 13 milliards de dollars de revenus l’an dernier pour les détenteurs des droits sur des chansons. Investisseurs spécialisés et grands groupes financiers se battent pour acquérir les catalogues d’artistes en vue

Revenus dégagés par les ventes de musique au niveau mondial. Infographie détaillée à retrouver plus bas dans l'article. — © DR
Revenus dégagés par les ventes de musique au niveau mondial. Infographie détaillée à retrouver plus bas dans l'article. — © DR

La pandémie n’a pas affaibli la consommation de musique, bien au contraire. La société anglaise Hipgnosis, qui détient les droits de quelque 65 000 chansons, a pratiquement doublé son chiffre d’affaires entre mars 2020 et mars 2021, à 160 millions de dollars (148 millions de francs), selon des chiffres publiés lundi. La pandémie a accéléré le passage vers une consommation numérique de la musique, les plateformes d’écoute en ligne (streaming), enregistrant des progressions record, représentent maintenant près de deux tiers des revenus de l’industrie musicale. Ce qui permet aussi de mieux savoir qui écoute quoi et de mieux récolter les royalties. «Nous entrons dans une période où, pour la première fois, pratiquement toute la consommation de musique est payante», a résumé le patron d’Hipgnosis, Merck Mercuriadis.

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Lancée en 2018, Hipgnosis encaisse de l’argent à chaque fois qu’une radio, une télévision ou, plus important encore, une plateforme en ligne diffuse un titre de Beyoncé, Neil Young, Blondie ou Shakira, quelques-uns des artistes dont elle a acquis des catalogues. Malgré la progression du chômage et le ralentissement économique, la pandémie a accéléré l’adoption du streaming, les plateformes spécialisées comme Spotify, Apple Music et Amazon Music comptant près de 450 millions d’utilisateurs dans le monde, relève Merck Mercuriadis dans le rapport annuel d’Hipgnosis. L’ancien manager d’Elton John, d’Iron Maiden ou de Beyoncé prévoit que ce chiffre atteindra 2 milliards d’ici à 2030. Car le boom va continuer.

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«Un abonnement à une dizaine de dollars ou de livres par mois est quelque chose que pratiquement tout le monde peut s’offrir. Comme on l’a vu pendant la pandémie, ces abonnements ont progressé car les gens recherchent du confort», expliquait-il en août 2020 au quotidien britannique The Guardian. En tant qu’investissement, la musique est «aussi bonne si ce n’est meilleure que l’or ou le pétrole, car elle est décorrélée de ce qui se passe dans l’économie en général», analysait encore Merck Mercuriadis, 57 ans, dont près de quarante ans passés dans l’industrie musicale, notamment dans les années 1980 chez Virgin Records, la société du milliardaire Richard Branson.

Acquisitions de chansons tous azimuts

Ce secteur en pleine expansion attire les convoitises, les opérations d’acquisitions s’étant multipliées ces trois dernières années. Durant la pandémie, Hipgnosis a investi 1 milliard de dollars pour devenir propriétaire de nouvelles chansons, portant son portefeuille à 138 catalogues pour une valeur estimée à 2,2 milliards de dollars. Près de la moitié de ces titres sont de la pop, et un peu plus d’un quart, du rock. Surtout, la société, qui compte parmi ses conseillers le mythique guitariste de Chic, Nile Rodgers, s’est de plus en plus exposée à des succès anciens, 60% de son portefeuille étant maintenant composé de titres ayant plus de 10 ans d’âge.

Pourquoi? Dans sa présentation aux investisseurs, Hipgnosis analyse la chanson Livin' on a prayer, du groupe américain Bon Jovi. Pas sous l’angle de ses paroles ou des coupes de cheveux du chanteur, mais selon les revenus générés depuis sa sortie en 1986: ils ont augmenté en moyenne de 153% par an après 2013, l’année du lancement de Spotify aux Etats-Unis. Cette logique explique aussi qu’une société financière ait investi 375 millions de dollars en juin dans l’entreprise qui gère les droits sur des chansons de Bob Marley et de Whitney Houston.

Bulle sur la chanson

Ces dernières années, des géants de la finance traditionnelle se sont aussi lancés dans cette classe d’actifs, notamment les groupes de private equity KKR ou Blackstone. En décembre dernier, le géant chinois de l’internet Tencent a doublé sa participation dans Universal Music, la filiale du groupe français Vivendi, qui venait d’acquérir l’intégralité du catalogue de Bob Dylan pour plus de 300 millions de dollars. Universal Music, qui détient également les droits de valeurs sûres comme les Rolling Stones, les Beatles ou Lady Gaga et Ariana Grande, a été valorisée à 30 milliards d’euros pour cette opération. Elle devrait entrer en bourse d’ici à la fin de l’année.

La musique génère des revenus stables qui constituent une alternative aux obligations, qui ne génèrent pratiquement plus de rendement dans le contexte actuel de taux d’intérêt faibles ou négatifs.

Cet afflux d’argent a soulevé des questions sur les niveaux de valorisation des catalogues de musique, certains experts estimant les prix largement surfaits. Mais le patron d’Hipgnosis n’y voit pas d’excès, estimant lors d’une interview en mars dernier à la radio BBC Four que les chansons des grands créateurs «sont disponibles à des prix attractifs» et que leur valeur «triplera d’ici à la fin de la décennie». Le prix moyen des 64 catalogues que Merck Mercuriadis a acquis l’an dernier pour 1 milliard de dollars représentait près de 14 fois les revenus qu’ils génèrent. Ce ratio devrait atteindre 30 fois à l’avenir, selon l’entreprise.

Rapprochement entre géants du web et maisons de disques

Cet optimisme repose notamment sur le placement de chansons dans des jeux vidéo et sur la montée en puissance des réseaux sociaux comme source de revenus pour l’industrie musicale. Des plateformes comme TikTok, Peloton ou Roblox vont de plus en plus payer de royalties pour l’utilisation de musiques, estime encore le patron d’Hipgnosis. Snap, la maison mère de Snapchat, a conclu un accord de licence avec Universal Music le 24 juin dernier. Les utilisateurs de l’app de partage de photos et vidéos pourront accéder à des milliers de chansons de Taylor Swift ou de Drake.

Le streaming tire la croissance de la musique

En 2020, le streaming a fourni 62% des revenus de l’industrie musicale au niveau mondial, qui ont atteint 21,6 milliards de dollars (+7,4%), selon l’IFPI, la Fédération internationale de l’industrie phonographique. Il s’agit de la sixième année consécutive de croissance pour ce secteur d’activité, qui se relève depuis 2014 de deux décennies de déclin. Le chiffre d’affaires généré par l’écoute en ligne dépasse maintenant largement les revenus générés par les téléchargements, précise notamment l’IFPI.

Ce boom se reflète également dans les résultats de Spotify, qui comptait à la fin du premier trimestre 356 millions d’utilisateurs actifs dans le monde, dont 158 millions paient un abonnement (les autres doivent écouter des publicités pour accéder gratuitement aux chansons). La plateforme suédoise a vu ses revenus augmenter de 16% entre janvier et mars de cette année, à 2,6 milliards de dollars (2,35 milliards de francs), après avoir attiré près de 4 millions de nouveaux abonnés.