* Sous-directeur, Mirabaud

Il y a quelques semaines de cela, des émeutes ont éclaté en Suède. Si c’est monnaie courante dans certains pays de la zone euro ou dans certains pays d’Afrique du Nord, de telles manifestations dans la «Suisse du Nord» sont exceptionnelles. Le calme retombé, il convient cependant de souligner que ces agitations soulèvent plusieurs interrogations et des fractures qu’il ne convient pas de minimiser.

Tout commence le 13 mai dernier, lorsqu’un homme est abattu par la police à Husby, banlieue suédoise défavorisée à forte population immigrée au nord-ouest de Stockholm et qui a le triste record d’avoir l’un des taux de chômage les plus importants de Suède. S’il y a des antécédents à ces troubles, le phénomène prend de plus en plus d’ampleur depuis les années 2000.

A l’arrivée au pouvoir en 2006 d’un nouveau gouvernement, un mouvement de désengagement des services publics dans certains quartiers a été marquant et de nombreux services publics ont été fermés et déplacés vers d’autres banlieues. La politique d’intégration est la grande absente depuis plusieurs années, quel que soit le gouvernement en place. La Suède est le pays où les disparités salariales ont augmenté le plus vite depuis 2008.

A cela on peut ajouter que si le chômage est en dessous de la moyenne de l’Union européenne, les jeunes de moins de 25 ans sont largement affectés.

Historiquement, la nature du redressement enregistré par la Suède dans la production industrielle, le bâtiment et l’agriculture entre 1932 et 1934 est un modèle de réussite. La politique budgétaire de relance menée par la Suède pour contrecarrer la dépression présente en Europe, ainsi que sa politique monétaire visant à stabiliser, puis augmenter progressivement les prix de gros ont suscité un grand intérêt.

La Suède a appliqué et admis assez rapidement qu’il fallait une politique économique de soutien efficace de la part de la banque centrale. L’effet de cette politique permit de réduire le chômage, faire croître l’investissement et empêcher les revenus de chuter fortement. Tout ce dont les gouvernements européens rêvent aujourd’hui…

Cependant, ce modèle «social-démocrate» sera graduellement modifié à partir du début des années 90 suite à une crise très importante que connaissait la Suède. Eclatement de la bulle immobilière, banques en faillite, finances publiques dans le rouge, compétitivité en berne, récession… Une situation qui ressemblait à s’y méprendre à celle de certains pays de la zone euro aujourd’hui. Le pays se lancera alors dans une course à l’austérité avec des hausses de taxes, réformes diverses, coupes de dépenses, règles sur les finances publiques et une dévaluation de sa monnaie. Sept années furent nécessaires pour restaurer l’économie suédoise. Pour preuve, la Suède retrouvera son AAA en 2004.

Petite économie très ouverte (90% de taux d’ouverture, soit le double de la France) avec une forte composante industrielle, la Suède a été fortement touchée par la crise économique en 2008 à cause de l’effondrement de la demande mondiale.

A l’équilibre budgétaire et avec une dette publique d’environ 40% du PIB fin 2012, la Suède a décidé d’un effort de relance de 0,7 point de PIB 2013, notamment via une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés. Les autorités suédoises continuent cependant de pointer le risque de surchauffe immobilière et le niveau trop élevé de l’endettement des ménages (environ 170% de leur revenu disponible).

Ainsi, malgré une inflation quasiment nulle, la banque centrale suédoise ne peut se permettre de baisser ses taux directeurs de peur que le niveau d’endettement des ménages ne s’accroisse et qu’il atteigne des niveaux critiques.

La Suède est considérée par certains comme la «Suisse du Nord», avec des taux d’intérêt bas qui ont stimulé la croissance de la dette des ménages et des prix de l’immobilier qui sont fortement montés.

La vigueur de la monnaie a aussi aidé à faire baisser l’inflation en dessous de zéro, poussant la banque centrale à envisager de baisser une nouvelle fois ses taux directeurs dans le but d’atteindre son objectif d’une inflation de 2%.

Ce qui est paradoxal, c’est que l’économie suédoise ne se porte pas mal, malgré ses liens avec la zone euro. La baisse des taux d’intérêt en décembre 2012 de 2 à 1% a aidé à stimuler la demande domestique. Cependant, et c’est là où le bât blesse, c’est que l’expansion domestique s’est faite au détriment de l’endettement des ménages (174%).

Le niveau de l’endettement pose aujourd’hui un réel problème car il conditionne les décisions de la politique monétaire suédoise. L’inflation est négative et la banque centrale suédoise ne s’attend pas à atteindre son objectif avant 2015. Faut-il baisser les taux ou non?

Après la dette des ménages, le deuxième risque d’une baisse des taux serait de voir la bulle immobilière continuer à grossir.

Les prix de l’immobilier résidentiel, ajustés à l’inflation, sont surévalués d’environ 20%. Il faut se préparer à une crise, selon l’Autorité de surveillance financière.

Le FMI déplore par ailleurs dans une remarque du 31 mai 2013 que les ménages suédois remboursent leurs emprunts immobiliers si lentement qu’ils prévoient de le faire en moyenne sur 140 ans.

L’effet combiné de taux d’intérêt bas, de hausses de crédit, d’augmentation du prix des biens immobiliers, d’une croissance du chômage des jeunes, d’une population vieillissante et d’un système d’intégration modèle qui se grippe pointe vers un risque évident sur le moyen terme. A cela on peut ajouter qu’avec une persistance de la crise européenne, les exportations suédoises devraient naturellement en pâtir, ajoutant ainsi une pression supplémentaire sur les mesures à adopter par le gouvernement.

Le dilemme, entre soutien de l’économie sur le court terme d’un côté et prévention contre des problèmes structurels d’un autre, devrait donc perdurer ces prochaines années.

Les prix de l’immobilier résidentiel, ajustés à l’inflation, sont surévalués d’environ 20%