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Selon une étude récente, les richesses générées par les nouvelles technologies sont aujourd’hui comparables à celles de toutes les industries traditionnelles combinées du royaume nordique

Deux annonces sont venues se télescoper ces dernières semaines dans la presse économique suédoise. La première a concerné la fermeture de l’usine de pâte à papier de Kvarnsveden, au centre du pays, qui emploie 670 salariés. Ce paquebot industriel, inauguré en 1900, disposait pourtant de la machine à papier journal la plus grande et la plus rapide du monde… Cela n’a pas empêché son propriétaire, le Finlandais Stora Enso, de la mettre au rebut pour «surcapacité du marché européen». Au même moment, l’éditeur de jeux vidéo Embracer Group, basé à Karlstad, devenait leader du secteur en Europe, détrônant le français Ubisoft et consolidant encore plus son effectif de 7000 salariés à travers le monde.
Pour certains, ce sont les signes de la mutation qui touche le royaume nordique, comme de nombreux autres pays. Sa géographie économique, avec ses mines du Grand Nord (dont le plus grand gisement de fer d’Europe à Kiruna), ses deux fleurons industriels publics que sont LKAB et SSAB, son exploitation du bois et ses usines de pâte à papier qui ont innervé l’économie rurale pendant de longues décennies, sans oublier les grandes étendues agricoles du sud, est en train d’évoluer. Mais pour d’autres, c’est aussi une page qui se tourne.
Selon une étude de IT & Telekomföretagen, organisation fédérant 1400 entreprises technologiques, la contribution de la tech au produit intérieur brut suédois est désormais aussi importante que celle de l’agriculture, de la mine, du bois et du papier, de la sidérurgie, des plastiques et autre minéraux, soit toutes les industries traditionnelles combinées. «L’année dernière, nous avons généré 30 milliards de francs de richesses, sans oublier que six des nouveaux emplois sur dix créés en Suède le sont dans ce secteur, explique Åsa Zetterberg, sa directrice. Cela peut surprendre certains politiques et leaders économiques, mais les faits sont là.»
Stockholm plus attractive que Berlin
Sous le terme générique d’entreprises technologiques, cette étude regroupe les acteurs de l’informatique et des télécommunications, les start-up de la santé (healthtech), de la finance (fintech), de la formation (edtech). Et le jeu vidéo. En Suède, il est devenu le premier produit culturel d’exportation grâce à̀ une série de succès mondiaux comme Candy Crush, Minecraft ou ces dernières semaines le surprenant Valheim. Si les sociétés américaines et japonaises dominent la scène mondiale, le pays nordique de 10 millions d’habitants peut se prévaloir d’un bilan impressionnant avec un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros en 2019, et un nombre d’entreprises qui a doublé en cinq ans, atteignant 435 en 2019.
Ces nouvelles pousses ont-elles supplanté les anciens fondamentaux de la Suède? Per Andersson, spécialiste de l’innovation digitale à la Stockholm School of Economics, est aussi «prêt à le croire»: «Ces chiffres sont même sous-estimés car il y a de nouvelles start-up tous les jours. Les Suédois sont souvent les premiers à utiliser les nouvelles technologies, et donc à les concevoir. L’exemple le plus récent, c’est l’intelligence artificielle, qui a permis l’émergence de 300 nouvelles entreprises.» La Suède est le pays européen qui a reçu le plus d’investissements par habitant dans le secteur des nouvelles technologies ces cinq dernières années, devant l’Irlande et le Royaume-Uni. La capitale Stockholm, en 2020, a vu arriver une manne de 2,7 milliards de dollars. C’est moins bien que les mégapoles de Londres ou Paris… mais mieux que Berlin.
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Manque de main-d’œuvre
Des entreprises nombreuses, donc, mais aussi à la croissance rapide. Alors que l’Europe se désole de ne pas pouvoir rivaliser avec les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), tous américains, elle peut se consoler avec les «licornes» suédoises, ces start-up dont la capitalisation dépasse le milliard de dollars. «La Suède a su créer des géants dans plusieurs domaines, des marques mondiales comme Skype pour la téléphonie par internet, Klarna dans la finance, le leader de la musique en ligne Spotify, les éditeurs de jeux vidéo Mojang ou King, le fabricant de batteries Northvolt», se félicite Per Andersson. Une liste qui s’allonge chaque année avec de nouveaux venus, comme l’acteur de la fintech Trustly, déjà valorisé à 9 milliards de dollars, ou la bibliothèque musicale sans droits d’auteur Epidemic Sound. Selon la société d’investissement Atomico, la Suède est la région du monde qui abrite le plus de licornes – toujours par habitant – juste derrière la Silicon Valley.
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Encore faut-il que cela se sache. En Suède, il est de coutume de dire que c’est l’industrie forestière, la mine et la sidérurgie qui ont sorti le pays du Moyen Age. Åsa Zetterberg ne dit pas le contraire: «Nous devons remercier ces industries traditionnelles pour tout ce qu’elles ont fait, mais maintenant il s’agit de prendre en compte une nouvelle réalité, et de favoriser notre développement.» Notamment en trouvant une solution au plus grand problème qu’affronte aujourd’hui la tech en Suède, celui de la main-d’œuvre, et de l’ouverture des frontières aux talents étrangers: le secteur doit en effet recruter 70 000 personnes d’ici à 2024.