La troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) est en consultation jusqu’à la fin de janvier 2015. Rappelons-en ici les enjeux.
Dès le 13 février 2007, la Commission européenne avait pris «une décision sur une aide d’Etat concernant la Suisse». L’Union estimait en effet que les impositions cantonales différenciées en Suisse portaient atteinte au principe de libre-échange et engendraient une concurrence fiscale dommageable. Les pressions de l’UE, auxquelles se sont ajoutées celles de l’OCDE, ont perduré. La Suisse a formulé un certain nombre de propositions mi-juin 2012, mais la Commission européenne a estimé que ces propositions ne constituaient pas une réponse adéquate.
Après d’importants travaux préparatoires réalisés en étroite collaboration avec les cantons et les milieux économiques, le Conseil fédéral a ouvert en septembre 2014 une consultation sur la troisième réforme de l’imposition des entreprises; réforme qui doit permettre d’améliorer la compétitivité de la place économique suisse en tenant compte de l’évolution du contexte international.
A cet égard, Madame Eveline Widmer-Schlumpf a esquissé un projet qui nous semble relativement contraignant à différents égards. Connu sous le vocable de «step up», le mécanisme proposé permettrait en substance aux sociétés, souvent des multinationales aujourd’hui au bénéfice des statuts fiscaux remis en cause par l’UE et l’OCDE, de continuer à profiter d’une imposition favorable pendant une durée de dix ans. Or, ce régime de transition nous semble malhabile, voire contreproductif dans le contexte fiscal international dans lequel la Suisse évolue.
D’une part, en s’engageant à abolir les cinq statuts fiscaux privilégiés, Berne enverrait alors selon nous un mauvais signal à ses partenaires en maintenant provisoirement un succédané et s’attirerait sans nul doute les foudres de l’UE et de l’OCDE. D’autre part, avec le mécanisme de «step up» très complexe techniquement et sans garantie de «compatibilité fiscale», la Suisse n’offrirait pas une lisibilité très claire aux multinationales présentes sur son territoire. Or, des centres financiers concurrents offrent un cadre fiscal plus transparent et stable et n’hésitent pas à s’adapter rapidement à la nouvelle donne internationale, en mettant en place des dispositifs à la fois conformes et particulièrement compétitifs. Les sociétés internationales sont de plus en plus préoccupées par ces questions et pourraient en conséquence se détourner de la Confédération.
Au surplus, cette stratégie nous semble contestable dans la mesure où elle est de nature à inciter les cantons, notamment romands, à reporter une baisse du taux d’imposition ordinaire qui nous paraît indispensable à court terme. C’est en effet cette option d’une réduction importante de l’impôt des sociétés pour l’ensemble des entreprises internationales ou locales à brève échéance qui nous paraît devoir être privilégiée. A cet égard, Genève a communiqué sur un taux unique à 13% sans toutefois entrer dans des explications détaillées à ce stade. Vaud a quant à lui réussi à imposer une feuille de route assez précise fixant un taux d’imposition effectif de toutes les sociétés à 13,79% à l’horizon 2020.
Au-delà, la réforme RIE III introduirait un système de taxation préférentiel pour les produits de la propriété intellectuelle, les «licence boxes» à l’image de ce qui se pratique au Luxembourg, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni notamment. Or, il convient d’être vigilant à ce stade et de ne pas copier sans discernement des régimes qui, s’ils ne sont pas remis en cause sur le principe, sont observés avec beaucoup d’attention par l’UE et l’OCDE pour leur (trop?) grande générosité.
En conclusion, il nous semble indispensable pour la Suisse d’adopter une stratégie offensive et constructive. Une baisse de l’imposition ordinaire rapide pour l’ensemble des sociétés nous semble essentielle, avec à la clé de nombreuses installations d’entreprises en provenance des pays voisins. L’adoption des «licence boxes» tout comme celle d’un régime d’intérêts notionnels «à la belge» nous semble également une bonne option, à condition de l’assortir d’une exigence d’activité substantielle et d’éviter toute fictivité des montages.
Dans ce contexte, la Suisse doit participer activement aux travaux de l’OCDE et opter pour des régimes fiscaux fondés sur des principes compatibles avec les nouvelles normes. Les entreprises observent avec beaucoup d’attention la prévisibilité et surtout la pérennité des solutions adoptées. D’autant que la Suisse a encore des marges de manœuvre réelles pour sortir gagnante de la compétition mondiale et proposer de manière offensive des régimes fiscaux à la fois attractifs sur le plan fiscal et parfaitement compatibles avec les principes directeurs du nouvel ordre mondial.
* Spécialiste en matière de fiscalité internationale chez Lemania Law Avocats
Ce régime de transition semble malhabile, voire contre-productif, dans le contexte fiscal international