Nouvelle vague
Voilà plus d’un an et demi que la conjoncture suisse est inféodée au nouveau coronavirus, à son rythme de propagation et à ses mutations. Jusqu’à présent, les entreprises et la Confédération ont fait preuve d’une capacité d’adaptation qui a permis à l’économie de se maintenir à flot

Déjà la cinquième vague. Au minimum deux semi-confinements au compteur et une grosse fatigue dans les foyers helvétiques. Un sentiment qui doit conférer à l’épuisement dans les restaurants, les fitness ou encore les théâtres, premières victimes collatérales de la pandémie de Covid-19.
Malgré leurs limites et leurs imperfections, les indicateurs économiques rappellent toutefois à quel point les entreprises suisses ont résisté aux chocs encaissés depuis le printemps 2020, grâce à un savant cocktail composé de résilience et de capacité d’adaptation, de fondamentaux solides, d’outils technologiques performants, mais aussi d’amortisseurs fournis par les pouvoirs publics.
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Alors que tous les regards étaient pointés sur l’Afrique du Sud avec l’apparition du variant Omicron, le Secrétariat d’Etat à l’économie annonçait vendredi que le PIB suisse avait progressé de 1,7% au troisième trimestre, dépassant son niveau d’avant la pandémie. Le constat vaut aussi pour l’emploi: dans des secteurs comme l’informatique, la logistique ou la restauration, la main-d’œuvre fait même défaut. En octobre, le taux de chômage était évalué à 2,5%, alors que, selon les derniers chiffres disponibles, près de 60 000 personnes étaient en RHT (réduction de l’horaire de travail) au mois d’août. Soit 240 000 de moins qu’un an auparavant.
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Car l’économie helvétique revient de loin. La valeur qu’elle a créée avait chuté de 6% au deuxième trimestre 2020, le recul s’établissant à 2,3% sur l’ensemble de l’année dernière. La variation est comparable à celle qui fut observée lors de la crise des subprimes en 2008-2009, mais bien inférieure aux quelque 6% d’affaissement essuyés durant le choc pétrolier des années 1970.
Les clés de la résilience: diversification et soutien public
La vigueur de la reprise observée cette année n’en finit pas d’interpeller: «La Suisse fait actuellement figure d’exception, au regard tant de la croissance économique que de l’inflation», relevait mardi matin dans une note conjoncturelle David Marmet, chef économiste au sein de la Banque cantonale de Zurich. Pour expliquer cette singularité helvétique, l’expert avance plusieurs raisons: la bonne diversification sectorielle du pays, une faible désindustrialisation et la démocratie de concordance. Avant de s’interroger en guise de conclusion: «Peut-être est-ce simplement de la chance?»
Une bonne étoile qui veillerait sur la destinée de la Suisse? Dans Genève est-elle prête pour la prochaine crise?, Giovanni Ferro Luzzi et Sylvain Weber évoquent bien d’autres facteurs explicatifs. Economistes à l’Institut de recherche appliquée en économie et gestion (IREG), ils ont présenté mardi les résultats de leur étude. Un travail réalisé sur mandat de la Banque cantonale de Genève (BCGE) et de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG).
Selon eux, la diversité du tissu économique – au niveau genevois, comme au niveau suisse – a largement contribué à amortir les coups d’arrêt dictés par le SARS-CoV-2. «Deux mois après le début du confinement, les exportations avaient déjà rebondi jusqu’au niveau d’avant la crise, note Sylvain Weber. L’industrie pharmaceutique et les activités financières, par exemple, ont fait preuve d’une grande résilience face à la crise, dans la mesure où la demande pour leurs produits est restée forte.»
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Rapidement dégainées par la Confédération, les RHT ont aussi joué un rôle crucial. Il s’agit d’«une très bonne mesure qui a probablement sauvé beaucoup d’emplois», signale Giovanni Ferro Luzzi, citant un autre outil clé de l’arsenal du parfait gestionnaire de crise économique: «Dans les années 1930, on s’est rendu compte de l’importance de fournir de la liquidité aux entreprises. Dans les trois dernières bulles, c’est comme ça que les banques centrales ont réagi.»
Pas de «boule de cristal»
Cette capacité de résistance économique pourrait-elle trouver ses limites physiques, ne plus opérer en cas de nouveau confinement? «Nous n’avons pas de boule de cristal, répond Giovanni Ferro Luzzi. C’est vrai qu’un nouveau confinement pourrait clairement mettre à mal certaines entreprises, notamment dans les secteurs de la restauration ou des transports. Mais si les aides se poursuivent, cela devrait les aider à le traverser.» «Nous avons aussi pris de nouvelles habitudes. Probablement que la réduction de l’activité sera moins brutale s’il devait y avoir un nouveau confinement», ajoute son collègue.
«Ce que nous espérons éviter, c’est de basculer dans un scénario en W [enchaînement de fortes baisses et de reprises, ndlr], conclut Vincent Subilia, directeur de la CCIG. Car vous avez des secteurs pour lesquels la crise pourrait devenir structurelle et avoir des conséquences par exemple sur la tradition d’accueil internationale de Genève. Il suffit de regarder l’impact de l’annulation ce dimanche de la ministérielle de l’OMC pour ses hôtels, ou le coup d’arrêt que subit l’aéroport, au service de l’économie genevoise depuis cent ans.»
En se prolongeant, la pandémie peut aussi entraîner des changements de fond, comme la diminution du nombre de voyages d’affaires au profit des vidéoconférences. L’étude de l’IREG met aussi en évidence un transfert modal dans le domaine de la mobilité, avec de nombreuses personnes qui optent pour un moyen de transport privé au détriment du bus ou du train.
Des mutations que les entreprises suisses devront aussi prendre en compte si elles veulent continuer à surprendre, fasciner et interpeller les économistes du monde entier.