La Suisse lorgne le juteux marché de l’hydrogène
Energie
La société vaudoise Almatech espère bien commercialiser au Japon sa première navette naviguant grâce à l’hydrogène. Les quelques entreprises suisses du secteur jouent des coudes pour se positionner dans un marché en plein essor

Le 21 mai 2030, embarcadère de la Compagnie générale de navigation (CGN) à Evian, sur les bords du lac Léman. La pandémie de covid appartient au passé et les frontaliers se pressent sur les quais pour rallier Lausanne. En lieu et place des bateaux actuels, gourmands en diesel, c'est dans une navette ultralégère, propulsée à l'hydrogène, qu'ils prennent place.
Ce tableau un brin futuriste est dessiné par Almatech. La PME vaudoise s'est déjà illustrée dans le domaine spatial, en contribuant notamment aux missions Cheops et Solar Orbiter. Elle a signé cette semaine, au Japon, un accord de coopération pour mettre sur le marché une navette maritime propulsée par hydrogène.
Convaincue du potentiel de cette forme d'énergie pour le secteur naval, l'entreprise a conçu un bateau taillé sur mesure pour elle. Pour réduire la consommation énergétique, l'embarcation peut accueillir une centaine de passagers et est posée sur des hydrofoils. C'est-à-dire qu'elle va voler au-dessus de l'eau.
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«Le Japon mise actuellement énormément sur l'hydrogène, observe Hervé Cottard, directeur d'Almatech. Avec ses 6850 îles, il voit un intérêt évident pour cette technologie dans le transport maritime.» Pour explorer ce potentiel, la plateforme japonaise E5.lab, avec qui la société basée à l'Innovation Park de l'EPFL collabore, a été cofondée en 2019 par trois entreprises, dont Mitsubishi. Ensemble, les partenaires cherchent désormais des investisseurs: «Entre le développement et la fabrication, il faut compter environ 30 millions de francs pour la mise sur le marché», articule Hervé Cottard, qui se veut confiant.
Les investisseurs aux aguets
Professeur à l'EPFL, Hubert Girault n'est pas surpris par son optimisme. «Actuellement, il y a beaucoup d'investisseurs qui s'intéressent à l'hydrogène. Les bons projets devraient donc trouver des financements», note l'expert.
Depuis qu'il peut profiter des énergies renouvelables pour être produit de manière plus propre, l'hydrogène a gagné en attractivité. Plusieurs entreprises suisses cherchent à profiter de son essor. Mené par le consortium H2 Energy, le projet phare dans lequel le pays s'illustre pour le moment vise à déployer de Saint-Gall à Genève des stations-services à hydrogène pour les poids-lourds. Il est notamment porté par les entreprises Coop et Hyundai.
Créer un marché intérieur
A la tête de la société fribourgeoise Swiss Hydrogen, Alexandre Closset le juge très intéressant car il permet de développer un marché intérieur de l'hydrogène. «La Suisse importe chaque année des hydrocarbures pour des milliards de francs. Si l'on peut à l'avenir produire une partie de cette valeur dans le pays, c'est tout bénéfice», remarque l'entrepreneur dont la société a été rachetée en 2018 par le groupe industriel français Plastic Omnium.
Pouvoir s'appuyer sur son propre marché pour se développer représente en effet un coup de pouce de départ intéressant dans le domaine de l'énergie. Un tel soutien avait justement fait défaut lors de l'émergence de l'industrie photovoltaïque il y a une trentaine d'années, freinant la commercialisation des solutions helvétiques. Et pourtant, l'avancée technologique de la Suisse était pourtant jugée supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui dans l'hydrogène. «Dans ce domaine, ce sont des pays comme le Canada, la Corée du Sud et le Japon qui sont à la pointe», note Alexandre Closset.
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Le partenariat signé par Almatech montre toutefois que des innovations helvétiques peuvent aussi aspirer à rayonner outre-frontière. Le groupe ABB est très actif dans ce créneau et Stadler Rail s'est aussi mis à l'hydrogène. En 2019, le groupe thurgovien a vendu en Californie un premier train à hydrogène.
La PME vaudoise espère, elle, mettre sa première navette à l'eau dans quatre ans, à l'occasion de l'exposition universelle d'Osaka. Travaillant à augmenter le nombre de passagers à au moins 400, son patron entend bien d'ici là séduire d'autres clients, par exemple la CGN.
Pour réduire son empreinte carbonique, la compagnie lémanique mise toutefois d'abord sur deux navettes de type hybride, combinant diesel et électricité, commandée à l'entreprise lucernoise Shiptec. L'exploitation de la première d'entre elles entre Evian et Lausanne est prévue pour 2023.
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Un géant de l'hydrogène dit «vert» devrait voir le jour à Belfort, à une trentaine de kilomètres de la frontière suisse. Jeudi, le groupe français McPhy a annoncé avoir présélectionné la ville française pour y construire une «gigafactory» d'électrolyseurs. Quatre cents emplois pourraient être créés à terme.
Spécialisée dans les équipements de production et distribution d’hydrogène, la société ambitionne de faire passer l'électrolyse à l'échelle industrielle. «De telles initiatives visent à faire baisser le prix de l'hydrogène en dessous de 5 francs le kilo pour le rendre compétitif», relève Hubert Girault. Le prix est actuellement d'environ 12 francs, précise le professeur de l'EPFL, signalant au passage que la technologie utilisée par McPhy est d'origine genevoise. Elle a été brevetée en 1922!
L'investissement est toutefois conditionné au soutien de l'Union européenne. Celle-ci a lancé un programme pour accélérer l'arrivée à maturité de la technologie. Des investissements massifs pouvant atteindre 470 milliards d'euros sont envisagés jusqu'en 2050. La France et l'Allemagne ont déjà sorti les grands moyens pour rattraper le retard pris sur l'Asie. Paris a débloqué 7 milliards d'euros pour cette filière, 2 milliards de moins que Berlin.