Un exode d’entreprises? Quels dommages vont provoquer le non à la RIE 3, dimanche? «Dans l’immédiat, il ne faut pas craindre un départ massif, répond Frédérique Reeb-Landry, la présidente du Groupement des entreprises multinationales (GEM). En revanche, certaines nouvelles activités, susceptibles de créer des emplois, pourraient être placées ailleurs qu’en Suisse». Parmi les membres du GEM, «un certain nombre d’investissements et de recrutements ont déjà été gelés dans l’attente de cette votation».

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Le message envoyé dimanche n’est pas le bon, poursuit-elle. Ce d’autant plus qu’il «s’ajoute à d’autres incertitudes comme le franc fort ou l’application du vote du 9 février 2014 sur l’immigration». Frédérique Reeb-Landry espère donc que le parlement proposera une solution «rapide, compétitive, plus consensuelle – pour qu’elle soit acceptée par le peuple – et qui respecte l’engagement de la Suisse à supprimer les statuts fiscaux en 2019».

Dans leur communiqué respectif, les associations faîtières Swissmem, Usam ou economiesuisse exigent eux aussi qu’une nouvelle mouture soit rapidement mise sur pied. Et qu’elle offre enfin une sécurité juridique à ceux qui investissent dans le pays.

La stabilité, avant le taux absolu

Car le taux absolu d’imposition n’est pas l’enjeu principal. Pour un patron, c’est la prévisibilité du régime qui compte avant tout. «La Suisse ne perd pas en compétitivité parce que la fiscalité sera moins bonne demain mais parce que ce résultat prolonge une période d’incertitude qui freine les projets d’investissements», résume Thomas Bohn, le directeur de l’organe de promotion économique Greater Geneva Bern Area (GGBA).

La Suisse venait à peine clarifier sa position vis-à-vis de l’immigration – le vote du 9 février avait pesé dans la capacité du GGBA à attirer des entreprises dans la région. Ce non est «un nouveau coup dur pour l’attractivité de la Suisse par rapport au Royaume-Uni par exemple, dont le projet fiscal est très agressif», compare Thomas Bohn.

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Dans un contexte international où les Etats-Unis prévoient eux aussi des baisses fiscales, le moment est très mal choisi, confirme Jacques Kistler. «Est-ce qu’on peut encore avoir confiance dans la Suisse en tant que place économique prévisible? Que vont dire nos voisins?», interroge le partenaire de Deloitte à Genève. Dès lundi, ajoute-t-il, nous allons devoir rassurer les clients, leur sortir nos meilleurs arguments. Pour la plupart d’entre eux, cette réforme était acquise».

Ce qui est acquis, c’est que le résultat de dimanche n’augmente pas l’espérance de vie des statuts fiscaux spéciaux pointés du doigt par Bruxelles et par l’OCDE et qui concernerait environ 25 000 sociétés dans le pays. Il semble aussi presque certain le chapitre concernant les intérêts notionnels va être enterré. Cette disposition, très critiquée, aurait permis aux entreprises de pouvoir déduire de leur feuille d’impôts les apports de nouveaux capitaux propres.

«On ne veut pas soutenir les PME»

Mais qui gêne surtout Eric Schnyder, le directeur général de Sylvac, c’est l’inconnue sur le sort réservé aux dépenses de recherche et développement, que la réforme devait encourager par des déductions plus ou moins importantes, selon les cantons.

Basée à Malleray-Bevilard (BE) son entreprise spécialisée dans les instruments de mesure a beaucoup investi dans la R&D. Jusqu’à hauteur de 12% de son chiffre d’affaires. «Cela donne l’impression que l’on ne veut pas soutenir les PME», regrette-il en soulignant que les augmentations de salaires qu’il avait prévues seront gelées pour l’instant.

Un oui à la RIE 3 lui aurait sans doute permis «d’engager un nouvel ingénieur». Et d’y voir un peu plus clair dans le brouillard provoqué par la force du franc et le vote du 9 février. Et le Brexit. Et Donald Trump.


Pascal Saint-Amans: «Deux ans, ça laisse du temps»

Le peuple a rejeté une réforme fiscale perçue comme excessive, et non pas le fait, pour la Suisse, de respecter ses engagements internationaux, analyse le directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE

Chef fiscal de l’OCDE, Pascal Saint-Amans a gardé l’oeil ouvert, dimanche, sur le résultat du vote des Suisses sur RIE III. Et pour cause: c’est pour se conformer aux standards fiscaux internationaux, dont l’OCDE est garante, que la Suisse avait lancé le chantier.

Le Temps: Les Suisses ont rejeté une réforme fiscale dont l’OCDE était, indirectement, à l’origine. Comment accueillez-vous ce résultat?

Pascal Saint-Amans: La réforme qui était soumise dimanche au vote des Suisses allait bien au-delà du respect des engagements vis-à-vis de l’OCDE ou de l’UE. Je crois que le non des Suisses ne repose pas sur le respect de ces engagements – à savoir le démantèlement de régimes fiscaux dérogatoires considérés comme dommageables – mais sur ce qui a été imaginé, dans la réforme, pour contrebalancer ce démantèlement, c’est-à-dire une série de mesures visant à accroître considérablement la compétitivité fiscale de la Suisse. Si la Suisse ne supprime pas ses statuts spéciaux par cette réforme, elle peut en élaborer une autre.

- La Suisse s’est engagée à supprimer ses statuts pour le 1er janvier 2019. Il n’est pas évident que le délai soit suffisant pour faire aboutir une nouvelle réforme. Serait-il très grave de prendre un peu de retard?

- Il n’y a pas péril en la demeure aujourd’hui, pas de liste noire en préparation, ni rien dans ce goût-là. Mais il en va de la crédibilité de la Suisse, qui s’est engagée à démanteler ses régimes. Elle doit le faire. Si elle ne le fait pas, cela ne passera pas inaperçu. Il y a donc une petite pression sur la Suisse pour qu’elle ait démantelé ses régimes d’ici deux ans. Deux ans, ça laisse du temps.

- La réforme soumise aux Suisses contenait de nouveaux gadgets fiscaux, comme la déduction des intérêts notionnels. Le législateur s’est-il montré trop gourmand?

- L’OCDE est neutre en matière de politique fiscale. Ce qui nous intéresse, c’est le respect des engagements, qui n’est pas remis en cause. Nos travaux, y compris les nouveaux standards dans le domaine de la fiscalité des multinationales, n’empêchent pas non plus la concurrence fiscale entre les Etats. J’observe simplement que cette réforme rendait la Suisse extrêmement attractive sur le plan fiscal. Il est intéressant que le peuple souverain ait dit non à quelque chose qu’il a perçu comme excessif. C’est une ironie de l’histoire.

- La Suisse a lancé son chantier fiscal dans un contexte international de coopération fiscale et de marche vers la transparence. Ce contexte est-il toujours d’actualité, les exigences de l’OCDE sont-elles toujours d’actualité, à l’heure du chacun pour soi prôné par Donald Trump?

- Bonne question. L’incertitude est très grande. Les Etats-Unis ont aujourd’hui la possibilité de faire passer une réforme fiscale, du fait de l’alignement de la Maison-Blanche et du Congrès. Quelle sera cette réforme? On ne le sait pas encore. Quel sera son impact sur le reste du monde? On ne le sait pas non plus. Mais tous les travaux qui ont été faits en matière fiscale relèvent de la coopération, pas de la supranationalité. Et la coopération renforce la souveraineté des Etats. La question reste donc ouverte. Mais le Cadre inclusif des pays qui collaborent à la mise en oeuvre du projet BEPS [les nouveaux standards de lutte contre l’évasion fiscale légale des multinationales] compte une centaine de pays. Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements regroupe, lui, 138 Etats: ce mouvement ne va pas s’arrêter d’un jour à l’autre.

(Alexis Favre)