La Suisse prend lentement congé du plein-emploi
Travail
Le taux de chômage suisse est supérieur à celui de l’Allemagne et des Pays-Bas, selon le BIT, et il est trois fois plus élevé que dans les années 1980. Depuis 2008, les chômeurs en fin de droits ont doublé à 40 000, indique le BAK Economics, lors d’un congrès sur l’«illusion du plein-emploi»

Le taux de chômage, calculé par le Seco, devrait descendre en moyenne à 2,3% cette année, contre 2,6% l’an dernier. En surface, l’économie suisse se porte bien. Mais les nuages s’accumulent. «Nous avons un problème de chômage de longue durée», déclare Martin Eichler, chef économiste de BAK Economics, jeudi, lors d’un congrès donné par l’institut conjoncturel bâlois sur «l’illusion du plein-emploi».
Les personnes en fin de droits et qui sortent donc des statistiques du chômage ont doublé en une décennie, selon le BAK. Elles sont passées de 20 000 en 2008 à près de 40 000 en 2017 avant de redescendre à 35 000 l’an dernier.
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«La Suisse n’est pas en situation de plein-emploi», en conclut Daniel Lampart, chef économiste à l’Union syndicale suisse. Un jugement qui ne fait pas l’unanimité auprès des autres participants à la table ronde organisée par l’institut conjoncturel. Il s’oppose à celui du professeur bâlois George Sheldon, de Valentin Vogt, président de l’Union patronale suisse, et d’Ursula Kraft, directrice de l’Association des offices suisses du travail.
L’Allemagne se porte mieux que la Suisse
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Quoi qu’il en soit la définition du plein-emploi fait débat. Pour le BAK, le plein-emploi existe lorsqu’une personne qui aimerait un emploi en trouve un. Si l’on prend le taux de chômage publié par le Seco, qui compte les personnes inscrites aux ORP, le taux est le triple de celui du début des années 1980. Selon la définition du BIT (à savoir les personnes sans emploi et disponibles à court terme) le taux est de 5% et dépasse celui de l’Allemagne, du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de l’Autriche. «Comment peut-on parler de plein-emploi en Suisse si l’Allemagne fait mieux que nous? Dans les années 1990, un tel résultat aurait paru impensable», commente Daniel Lampart.
La situation n’est pas aussi favorable que le taux de chômage le laisse supposer, affirme Martin Eichler. Il en veut pour preuve une divergence: le taux de personnes sans emploi est à la hausse en ce moment, alors que le taux de chômage baisse. En outre, les salaires demeurent sous pression, sous l’effet de la concurrence européenne sur le marché du travail.
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Longue attente après les études
Le chômage de longue durée (au moins un an) est, lui, tombé à 15 000 récemment après avoir oscillé autour des 20 000. En pourcentage de l’ensemble des chômeurs, il est redescendu à 14%, soit le niveau d’avant la crise. Cette observation vaut pour tous les groupes d’âge, observe Martin Eichler.
La réalité est donc différenciée. Dans l’ensemble, la conjoncture est bonne. Mais le marché de l’emploi est plus difficile en Suisse romande qu’en Suisse alémanique, dans les villes que dans les campagnes (par exemple moins de 1% de chômage à Obwald) et il est différent d’une branche à l’autre, précise Ursula Kraft. Le doute sur la réalité du plein-emploi est renforcé par le taux de 7% de personnes actives qui aimeraient accroître leur temps de travail, avance Martin Eichler.
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Le chômage est avant tout élevé chez les jeunes. L’entrée dans la vie active est plus longue et compliquée. «A la fin des études, les jeunes doivent multiplier les stages avant d’obtenir un emploi», critique Daniel Lampart. Est-ce le fruit d’une inadéquation entre l’offre et la demande? «Le nombre d’universitaires dans les sciences humaines et sociales s’est plus nettement accru que celui des places disponibles», rétorque le président de l’Union patronale, lequel se demande même s’il ne faudrait pas y introduire un numerus clausus.
Le fossé de la numérisation
A l’autre bout de l’échelle, les 55 ans et plus sont «discriminés», lance Daniel Lampart, en particulier dans les banques, précise-t-il. Le taux de chômage des seniors est certes globalement stable, mais les personnes frappées par le chômage peinent à retrouver un emploi, pointe Martin Eichler.
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Le problème vient souvent d’un manque de qualifications, ou plutôt d’une inadéquation avec les emplois offerts. Le tiers des sans-emploi sont au bénéfice d’une formation tertiaire à Zurich, selon Edgar Spieler, responsable du marché du travail pour le canton de Zurich. Le fossé est, à son avis, moins lié à l’âge qu’aux effets de la numérisation de l’économie. C’est vrai aussi bien pour les services informatiques que pour le marketing. Le débat sur le plein-emploi ne mène donc pas à une réponse différenciée. Face à la profonde transformation technologique, l’idée même de plein-emploi risque d’être fortement fragilisée.