Les acteurs du tourisme se seraient volontiers passés de ce sinistre voyage dans le temps: en 2020, la pandémie a ramené l’industrie hôtelière à ses niveaux de fréquentation de 1950. En Suisse, 23,7 millions de nuitées ont été recensées. C’est 40% de moins qu’en 2019, une année record.

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Seul point positif à retenir de cette cuvée frelatée, les Suisses ont sillonné leur pays avec frénésie durant l’été. Les chiffres publiés vendredi par l’Office fédéral de la statistique (OFS) s’en souviennent: en juillet, leurs séjours dans les hôtels helvétiques ont bondi de 35% par rapport à l’année précédente. Sur l’ensemble de la saison, les nuitées indigènes ont progressé de 23%.

Nous sommes en train de vivre une certaine convergence avec les villes

Andreas Züllig, président d'Hotelleriesuisse, hôtelier à Lenzerheide (GR)

Les touristes étrangers se sont, eux, faits rares. Très rares. Conséquence: la clientèle a plongé de 67% en 2020. 67%: c’est aussi peu ou prou la chute qu’ont dû digérer les établissements genevois. Il s’agit de l’effondrement le plus spectaculaire du pays mais Zurich suit de près.

Si les régions de montagne ont réussi à tirer leur épingle du jeu durant l’été, le tableau s’est ensuite noirci. «Nous sommes en train de vivre une certaine convergence avec la situation des villes», a ainsi constaté Andreas Züllig, président d’HôtellerieSuisse, lui-même hôtelier à Lenzerheide (GR), à l’occasion de la conférence de presse annuelle de Suisse Tourisme.

En 2020: Le tourisme suisse affronte sa propre cherté

Les mois de novembre et de décembre ont ainsi vu la fréquentation nocturne divisée par deux au niveau national. En Valais, le recul des nuitées est de 32%. Même les Grisons, région la plus épargnée, n’échappent pas à une baisse qui s’inscrit à 18%.

Un été «de tous les dangers»

La crise déclenchée par le SARS-CoV-2 laisse le secteur exsangue: selon les estimations de son association faîtière, l’hôtellerie suisse a essuyé en 2020 une perte globale de chiffre d’affaires de 2 milliards de francs, soit -40% par rapport à l’année précédente. En prenant en compte la restauration et les prestations accessoires, la perte de chiffre d’affaires s’élève à au moins 3,4 milliards de francs.

il y a un risque que les Suisses aient davantage envie de partir ailleurs

Roland Schegg, expert en tourisme

Les restrictions et l’imprévisibilité de l’évolution de la situation sanitaire continuent à peser lourdement sur la marche des affaires. Les vacances de février enregistrent un recul de 16% des réservations, la baisse de la fréquentation dans les stations est évaluée à 36%.

Aux yeux de Suisse Tourisme, la reprise va rester «hésitante» durant les deux années à venir. Son directeur, Martin Nydegger, veut tout de même voir «de l’espoir dans la vallée des larmes», espérant la reprise des voyages européens cet été.

Pour Roland Schegg, professeur à l’institut du tourisme de la HES-SO-Valais, cette saison se présente toutefois comme celle de tous les dangers: «Les décisions vont se prendre tardivement mais il y a un risque que les Suisses aient davantage envie de partir ailleurs. Ce qui a été gagné l’année dernière pourrait donc être perdu. Les pays voisins pourraient compenser ce manque, mais je ne compterais pas trop dessus car la situation économique est très incertaine dans ces pays.»

Cap sur le tourisme durable

Prenant acte des changements de comportement que pourrait entraîner cette crise tenace, les milieux touristiques suisses ont décidé de mettre le cap sur le tourisme durable, jugé dans «l’air du temps».

Une tendance que Suisse Tourisme estime aussi taillée sur mesure pour la destination qu’elle promeut: «Notre réseau de transports publics est l’un des plus denses du monde et il est massivement alimenté par de l’énergie hydraulique», s’enthousiasme Martin Nydegger, qui évoque également les nombreux restaurants réputés pour leur cuisine du terroir.

Il y a très vite une contradiction entre économie et écologie

Christophe Clivaz, professeur à l'institut de géographie et de durabilité de l'Université de Lausanne

Après avoir traqué la qualité, la sécurité et la propreté, l’organisation lance avec ses partenaires un nouveau label. Baptisé «Swisstainable» et doté de trois niveaux d’exigence, il pourra être obtenu par les prestataires touristiques du pays qui s’illustreront par leur attention portée aux produits locaux ou leur engagement contre le gaspillage alimentaire.

Un engagement global, pas une niche

Ces dernières années, Suisse Tourisme a beaucoup misé sur la clientèle extra-européenne. L’organisation est passée comme un chat sur la braise sur la principale critique formulée à son industrie: l’empreinte carbone des déplacements en avion. «On ne peut pas se contenter de prendre en compte les activités sur place», souligne Christophe Clivaz, professeur à l’Institut de géographie et de durabilité de l’Université de Lausanne.

L’expert précise que, dans les faits, aucune destination ne résiste à une analyse fine de son bilan à l’aune de la durabilité car «il y a très vite une contradiction entre économie et écologie». Il aurait volontiers vu parmi les initiants de ce nouveau programme des acteurs tels que la Fondation suisse pour le paysage, Patrimoine suisse ou encore le Réseau des parcs régionaux suisses.

Andreas Züllig préfère, lui, raisonner en termes de marge de progression: «Lorsque les touristes voyagent, il y a un bilan carbone. Mais on peut tout de même faire beaucoup en se déplaçant en vélo électrique ou en mangeant local. Il est en tout cas certain qu’à l’heure actuelle, on ne peut pas se permettre de tourner le dos aux clients étrangers.»

Attention, avertit toutefois Christophe Clivaz, «le tourisme durable n’est pas une niche. La démarche doit se vouloir globale sur le long terme.»