Swiss prépare l’après-pandémie
Aviation
AbonnéLe secteur aérien fait désormais face à une crise structurelle. Le diagnostic est posé par la compagnie qui en tire les conclusions: elle entend supprimer 1700 emplois et réduire sa flotte de 15%. Quelque 700 licenciements pourraient être prononcés

«Le monde d’après ne sera plus le même que celui d’avant la pandémie.» Un an et demi après le début de la crise sanitaire, Swiss a pris acte des mutations profondes que le nouveau coronavirus a entraînées pour son secteur d’activité. Les dirigeants de la compagnie aérienne l’ont signifié de manière explicite en présentant jeudi à la presse leur projet de restructuration.
Selon Dieter Vranckx, directeur de la filiale du groupe Lufthansa, la situation reste «difficile» et «tendue», mais la crise a surtout désormais un caractère «structurel». Pour s’adapter à cette nouvelle donne, Swiss prévoit à terme de supprimer 1700 emplois, soit 20% de ses effectifs. Selon la société, les départs naturels ne suffiront pas pour atteindre cet objectif. Jusqu’à 780 licenciements pourraient être prononcés. Le personnel de cabine est le plus touché avec 400 emplois menacés, deux fois plus que pour les métiers qui œuvrent au sol. La répartition géographique de ce redimensionnement n’est pas précisée, pas plus que les destinations qui pourraient en faire les frais.
Nous brûlons toujours 2 millions de cash par jour
Car la compagnie compte aussi réduire sa flotte – qui compte 90 appareils – d’environ 15%, principalement via le retrait de certains Airbus. Sur les liaisons court et moyen-courriers, le nombre d’avions devrait être ramené de 69 à 59, tandis qu’il passerait de 31 à 26 sur les lignes long-courriers.
Cette cure d’amaigrissement vise à économiser un demi-milliard de francs à l’horizon 2023. «Nous brûlons toujours 2 millions de francs de cash par jour», déplore Markus Binkert, directeur financier de la compagnie. Pour arriver à un bilan neutre, la société devrait exploiter 50 à 55% de ses capacités. Elle a été loin de ce seuil en début d’année: fin avril, lors de la publication de ses résultats trimestriels, elle indiquait ne fonctionner qu’au quart de son niveau d’avant-pandémie. Conséquence: la compagnie aérienne a essuyé une perte de 201 millions de francs durant les trois premiers mois de l’année. Son chiffre d’affaires a chuté de 67,5% sur un an, à 299,6 millions de francs.
Selon ses dirigeants, le chômage partiel n’est désormais plus un remède adapté à la pire crise affrontée depuis les débuts de l’entreprise en 2002. «Nous devons préparer la compagnie à l’avenir, a insisté Dieter Vranckx en conférence de presse. Maintenir sa capacité d’investissement, mais aussi son aptitude à rembourser les crédits octroyés durant la pandémie.» Les compagnies Swiss et Edelweiss bénéficient d’une garantie à hauteur de 1,3 milliard de francs de la part de la Confédération. La société aérienne assure que son plan de restructuration ne contrevient pas aux engagements pris pour bénéficier de ces soutiens.
Demande en baisse de 20%
Préparer la compagnie à l’avenir, c’est composer avec une demande durablement affaiblie. Pointant la chute des voyages d’affaires, la société table sur une baisse de la fréquentation de 20% en 2023, par rapport à 2019. «Le phénomène est très problématique, confirme Andreas Wittmer, responsable du centre d’étude du secteur aérien de l’Université de Saint-Gall, car les voyages d’affaires financent massivement le trafic global: cette catégorie de voyageurs recourt volontiers à la classe business et elle fait souvent ses réservations à très court terme, ce qui lui vaut des tarifs plus élevés.» Avec son équipe, il termine une étude en collaboration avec la compagnie aérienne pour mieux cerner le changement de comportement de ce type de passagers.
A lire: Zoom aura-t-il raison des voyages d’affaires?
Temps partiels et préretraites
Les représentants des différents corps de métier ont appris la nouvelle sans surprise, mais entendent bien se battre pour limiter les dégâts durant la phase de consultation qui court jusqu’au 25 mai. «Le problème, soupire Sandrine Nikolic-Fuss, présidente du syndicat des personnels de cabine, c’est que notre secteur a déjà fait énormément de sacrifices depuis le début de la pandémie.» Elle évoque des concessions salariales, des congés sabbatiques ou encore des départs prématurés à la retraite. A ses yeux, il n’y a que dans cette dernière catégorie que des solutions peuvent encore être trouvées pour réduire les 400 licenciements envisagés chez les stewards et les hôtesses de l’air.
Une compagnie comme Swiss devrait tout faire pour d’abord sauver ses emplois
Pour la représentante du personnel, Swiss devrait en premier lieu cesser toute délégation de vols à Helvetic qui ne fait pas partie de l’alliance Lufthansa: «Une compagnie comme Swiss devrait tout faire pour d’abord sauver ses emplois avant d’en maintenir dans une société qui offre des conditions de travail minimales par rapport à ce qui se pratique dans la branche.»
Lire aussi: Dieter Vranckx, patron de Swiss, «A l’avenir, Swiss deviendra plus petite»
Les négociations s’annoncent aussi âpres avec les pilotes. Ceux-ci sont en principe protégés de tout licenciement d’ici à 2023 par leur convention collective de travail, mais le droit suisse ne les met pas à l’abri d’une telle issue. Porte-parole d’Aeropers qui représente les intérêts de la profession, Thomas Steffen veut promouvoir le travail à temps partiel pour éviter les 120 renvois envisagés. «Chez Edelweiss, certains pilotes disposent d’un jour de congé fixe chaque semaine. C’est ce type de solutions que nous aimerions mettre en place.» Interpelée à ce sujet, la direction de Swiss n’a pas fermé la porte, signalant que l’un de ses quatre axes de développement était justement dédié aux nouveaux modes de travail.
La durabilité pour autre défi
La baisse des déplacements à caractère professionnel n’est pas le seul changement de tendance que Swiss affronte puisque le secteur aérien doit réduire son empreinte carbonique. «Les mesures prises pour baisser les émissions de CO2 risquent aussi d’avoir un impact négatif sur la demande», remarque l’expert Andreas Wittmer.
La compagnie n’est d’ailleurs pas satisfaite du dispositif prévu par la Confédération sur lequel la population se prononce le 13 juin. S’il se dit favorable à toute action qui améliore la situation dans ce domaine, le patron de Swiss juge l’ordonnance d’application de la loi sur le CO2 «contre-productive» pour son secteur. Selon Dieter Vranckx, les taxes prélevées sur les billets d’avion doivent servir à financer les initiatives menées par l’aviation. Il dit être en étroite discussion avec la Confédération à ce sujet.