Les taxis sont chers, mais Uber est lent
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Pour comparer les deux services, nous avons réalisé une douzaine de courses à des heures différentes. Voici notre comparateur

Obtenir une voiture Uber peut être difficile. Et les taxis semblent toujours aussi allergiques aux cartes de crédit
Un client pressé aura mieux fait d’appeler un taxi, quitte à payer sa course au prix fort. Mais s’il souhaite parcourir une longue distance, sans délai particulier à tenir, l’offre Uber sera comparativement meilleure.
Voilà, en résumé, un élément saillant du test effectué par Le Temps , entre les services de la société californienne (chauffeurs professionnels UberX et conducteurs amateurs UberPop) et les chauffeurs traditionnels. L’examen s’est déroulé dans trois villes de Suisse (Genève, Lausanne et Zurich), à trois moments clés de la journée (trafic normal, heures de pointe et circulation de nuit). Chaque trajet effectué devait correspondre à une distance d’environ 5 kilomètres, de point à point en ville, mais aussi entre le cœur de la cité et sa périphérie.
Selon nos évaluations de terrain, les taxis sont les plus rapides. Du point de vue du temps de parcours, aussi bien que de l’attente avant la prise en charge. Mais ils sont chers et rechignent trop souvent à accepter le paiement par carte de crédit, comme les y oblige parfois la loi. Les courses avec Uber s’avèrent en revanche moins chères (les prix évoluent toutefois selon l’offre et la demande, contrairement au taxis où ils sont fixes, ndlr). Mais la disponibilité des véhicules laisse encore à désirer. Explications.
Genève
Il est neuf heures du matin, à Champel. La circulation est fluide, nous sommes devant l’entrée des locaux d’Uber à Genève. Le test peut commencer. «Seize minutes d’attente», indique d’emblée l’application de la société californienne. Notre chauffeur s’appelle Marc*. Il nous contacte aussitôt pour s’assurer que ce délai ne pose pas de problème. Courtois, il arrivera finalement après 26 minutes, non sans avoir préalablement rappelé une seconde fois pour vérifier que tout allait bien. «Je viens de Confignon. Les feux, la circulation… Ce n’est jamais simple à Genève», lance-t-il. Direction: place des Nations.
A Genève, les véhicules Uber arborent souvent des plaques vaudoises. C’est le cas pour Marc. Le temps de trajet est raisonnable. Tout comme le prix de la course: 23 francs, débités automatiquement sur notre carte de crédit. Soit deux francs de plus que l’estimation faite de la course, à l’aide de l’application Uber. «Si vous envoyez un courriel, on vous rembourse la différence», indique Marc avant de nous saluer poliment.
L’expérience avec les taxis est plus brève: 5 minutes d’attente après la commande par centrale d’appel, pour un trajet éclair (même point de départ et d’arrivée qu’avec Uber). Notre chauffeur nous ouvre la porte, comme d’autres taximans par la suite (ce qui n’est jamais arrivé avec Uber). Puis roule vite, dépasse une enfilade de véhicules stationnés derrière un feu rouge en utilisant les voies de bus. «Uber, cela ne marchera jamais à Genève», résume le pilote aux cheveux poivre et sel, avant de nous facturer son pronostic et le trajet 25,50 francs. Gros bémol: il n’accepte que les paiements en liquide.
Même ville, autre endroit, autre horaire. Il est 18 heures, le trafic est plus dense aux abords de Plainpalais. «Tous les chauffeurs Uber sont occupés», nous indique l’application de la start-up américaine. Deuxième tentative: cette fois-ci, Patrick* se met en route. Il débarque à bord d’une somptueuse limousine, intérieur cuir couleur coquille d’œuf. Mais avec 5 minutes de retard par rapport à l’estimation Uber (20 minutes d’attente au total). Lui aussi a des plaques vaudoises. En route pour Genève Aéroport. Chemin faisant, les langues se délient: «Uber a changé ma vie. Le seul inconvénient avec son système, c’est qu’il se désactive automatiquement si l’on traverse la frontière franco-suisse. Alors, si mon client souhaite aller à Douvaine, par exemple, on s’arrange: je lui facture la course jusqu’à la douane avec Uber et le reste est négocié en espèces», raconte-t-il.
Le test côté taxi se fait en simultané. Même constat que le matin: le service est plus rapide à la prise en charge et pour traverser, ce coup-ci, la moitié de la ville. «Même avec un GPS, les chauffeurs Uber arrivent parfois à se perdre», lâche notre chauffeur Paolo*, sans méchanceté. Le service s’avère 7,50 francs plus cher qu’Uber. A nouveau, la transaction s’effectue cash.
Examen de nuit, entre la gare Cornavin et la mairie de Cologny: Jamil*, notre chauffeur Uber, ne se fait pas attendre. Son véhicule dispose de plaques genevoises. Mais en roulant, on perçoit un certain désarroi de la part du conducteur: il ne situe pas bien notre destination. Le GPS de son smartphone l’aide à donner le change. «On travaille mieux les soirs et les fins de semaine, lance-t-il en manipulant son écran mobile. Il y a deux mois, Uber comptait une centaine de voitures à Genève. A présent, je ne sais pas. Mais je vois de plus en plus de chauffeurs lausannois ou fribourgeois.»
Même itinéraire, mais à bord d’une bombonne jaune. La voiture de notre taximan du soir est hyperconnectée: des branchements divers alimentent toutes sortes d’appareils de mesure. On repère une caméra miniature, qui capture ce qui se passe sur la route. Peu loquace, le professionnel de la conduite urbaine fait toutefois preuve d’une grande expertise topographique du secteur. Sobre, mais néanmoins efficace. Avant de nous saluer poliment, il vérifie si l’on n’a rien oublié dans sa voiture. Et profite de nos compliments pour nous remettre un dépliant vantant les mérites de l’application Taxiphone. Prix du service: 26 francs, réglés cette fois-ci par carte de crédit.
Lausanne
Premier essai à Lausanne, de la gare à l’UNIL (quartier de Dorigny). Il est 10 heures: Samuel*, chauffeur UberPop depuis 3 heures à peine et déjà sept courses au compteur, s’annonce à bord d’un élégant 4x4. Petit plus: une bouteille d’eau minérale offerte sur l’accoudoir du passager arrière. La conversation et le trajet auront coûté 13 francs.
Son homologue traditionnel nous accueille quant à lui avec une voiture à toit ouvrant vitré. On lui demande des informations sur les heures de pointe à Lausanne. L’homme en connaît un rayon: il nous bombarde de son expertise de la situation. Avant de nous facturer 22,40 francs le trajet, non sans nous avoir remis, dans la foulée, plusieurs bons de 3 francs pour d’éventuelles futures courses.
Les indications du taximan se sont avérées précieuses. Le test se poursuit en fin de journée, sur le pont Bessières. Les voitures roulent au pas. On commande un chauffeur UberPop, lequel arrive 5 minutes plus tard. Mais on peine à le trouver, car le trafic est dense et son numéro de plaque ne correspond pas, à un chiffre près, au signalement de l’application Uber. Une fois le problème résolu, en route pour la Blécherette. Notre chauffeur arbore une tenue décontractée: un t-shirt et des jeans. Il nous accueille avec un large sourire, avant de plonger son regard dans son GPS. Comment se passe la cohabitation avec les taxis lausannois? «Je n’ai jamais eu de problème, mais on ne sait jamais. Il paraît qu’UberPop leur a fait perdre 30% de chiffre d’affaires depuis janvier», dit-il en levant les yeux. Circulation contrariée. François donne subitement un coup de volant pour s’engager, comme d’autres conducteurs, sur une voie de bus. Un maigre gain de temps vu les quelque 20 mètres parcourus. François se dit satisfait de son activité annexe de chauffeur. Et se félicite de pouvoir effectuer jusqu’à plus de 15 courses certains jours. Mais son itinéraire du moment semble erroné. «Je ne comprends pas, mon GPS me dit que nous sommes arrivés», s’étonne-t-il en débouchant sur un cul-de-sac. Notre chauffeur se confond en excuses, éteint son compteur Uber et rebrousse chemin avant de nous conduire au plus vite à bon port.
Le taxi, lui, se montre moins désorienté. Ce qui ne l’empêche pas d’être tout aussi remonté par l’état de la circulation: «Je ne sais pas ce qui se passe, mais depuis deux jours, c’est complètement engorgé en fin de journée. Et c’est encore pire quand il s’agit de sortir de la ville», s’emporte-t-il. De porte à porte, il nous en coûtera 31 francs, soit 8 francs de plus qu’avec UberPop.
La nuit est tombée sur la place de la Riponne. Notre application Uber n’en est que plus scintillante. Amed nous conduit en direction de Renens. Mais il annonce d’emblée: «Je ne connais pas Lausanne.» Notre chauffeur «Pop» se fie aux indications vocales de son GPS. C’est son premier jour, et déjà sa dixième course depuis qu’il a commencé à 18 heures. Un virage manqué nous conduira dans les dédales du quartier de Sévelin. Un siège enfant à l’arrière de son break révèle une famille nombreuse. Ahmed est réfugié syrien kurde, installé en Suisse depuis quinze ans, où il tient une cordonnerie. Conducteur affable, il espère que son activité pourra alléger des fins de mois difficiles. Il est encore trop tôt pour dire si cela vaut le coup d’y consacrer ses nuits. Notre compte bancaire, lui, nous est débité de 16 francs.
Côté taxi traditionnel, le chauffeur du soir roule à une cadence soutenue, sans hésitation. Sa voiture est imprégnée d’une légère odeur de déodorant. Peu enclin à la conversation, l’homme dit exercer depuis dix ans dans le canton. Avec cette unique activité, «il arrive à tourner», précise-t-il, avant de réclamer son dû, en liquide.
Zurich
Zurich, 9h20: UberX est absent de la carte. Et aucun UberPop de libre ne circule à ce moment. Quarante minutes plus tard, un seul chauffeur de catégorie amateur se manifeste. Il se prénomme Kujtim et conduit une magnifique berline allemande. Il raconte qu’il a travaillé toute la nuit, mais faute de clients suffisants, il a continué ce matin. Et prévoit de rentrer se coucher après nous avoir déposés au centre-ville. Sa femme conduit aussi pour Uber. Expérience «Pop» suivante, avec Alexandre, un habitué de la technologie venue de Californie, grâce à laquelle il a déjà arrondi ses fins de mois à Paris. «Zurich compte une quarantaine d’Uber, toutes variantes confondues», affirme-t-il. Le chiffre qu’il donne n’a jamais été confirmé par la société américaine.
Akyal est, quant à lui, chauffeur UberX et titulaire d’un permis officiel de stationnement. «Cela paie mieux quand je fais taxi, mais il y a plus de demandes avec Uber», explique-t-il en conduisant. Même son de cloche de son homologue Stefan, à la fois chauffeur de dernière génération et taxi traditionnel.
Le comparatif des offres Uber par rapport aux taxis, réalisé ces derniers jours, n’a pas de valeur scientifique, à proprement parler. L’exercice tente toutefois de donner une image la plus juste possible des principaux avantages et défauts des forces en présence. Bilan: rien ne distingue la qualité des voitures Uber et des taxis. Idem pour la valeur des prestations. Au seul détail près que l’expérience dépend grandement du conducteur, moins de son appartenance.
* Prénoms d’emprunt