SANTE
Antoine Hubert, actionnaire principal et directeur du groupe Aevis, notamment actif dans le secteur hospitalier, critique les «aberrations» d'un système de santé qu'il juge coûteux, peu efficace, et sclérosé

A la tête d'un réseau de cliniques, dont celle de Genolier, le millionnaire Antoine Hubert a souvent défrayé la chronique par ses actions spectaculaires et son franc parler.
- Swiss medical network, intégré dans le groupe Aevis, comprend 15 cliniques privées. Ce réseau géré selon les principes d’économie de marché, parallèle aux hôpitaux publics, ne contribue-t-il pas à augmenter les coûts de la santé?
- Au contraire, nos taux de base de forfait par cas (DRG) sont en moyenne 5% inférieures au prix moyen facturé par les hôpitaux cantonaux.
- Comment y parvenez-vous?
- En responsabilisant les médecins qui sont indépendants et ont tout avantage à faire tourner les infrastructures et les blocs opératoires de la manière la plus efficace possible. Par exemple, après la reprise de la clinique Bethanien à Zurich, grâce aux anesthésistes devenus indépendants, nous avons pu fermer une des cinq salles d’opération. Aujourd’hui, il y davantage d’activités sur quatre salles qu’auparavant sur cinq.
- Pourtant, vous touchez un salaire de plus de 300 000 francs par an et de confortables dividendes en tant qu’actionnaires d’Aevis à hauteur de près de 40%. Les hôpitaux, eux, ne distribuent pas de bénéfices…
- Nous sommes effectivement des entrepreneurs payés pour leurs prestations. Dans le système de santé public tout le monde est aussi rémunéré, du conseiller d’État au directeur d’hôpital, en passant par les médecins salariés. Le temps du bénévolat et des hôpitaux tenus par des Soeurs hospitalières est révolu.
- Etes-vous partisan d’une privatisation du système de santé?
- Non. Il y a de la place pour les deux modèles, privé et public. Cela fonctionne par exemple parfaitement à Fribourg où nous avons pu réaliser une planification hospitalière et une répartition des spécialités en collaboration avec les autorités. Cela nous a conduit à fermer deux petites maternités et à développer l’orthopédie. Des synergies peuvent aussi être mises en place entre nos cliniques, par exemple en radiologie pour l’interprétation des examens spécialisés. L’exemple fribourgeois est beaucoup plus difficile à réaliser à Neuchâtel, ou dans les cantons de Vaud et Genève où des cliniques privées sont en grande partie exclues des listes hospitalières. Il est temps de réaliser une grande réforme du système de santé à laquelle devrait s’atteler le Conseil fédéral.
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- Pourquoi?
- La loi fédérale sur l’assurance maladie est une loi cadre qui fixe surtout l’obligation de s’assurer. Elle laisse une trop grande marge de manœuvre aux cantons. On ne peut pas continuer à avoir 26 ministres de la santé dans un petit pays comme la Suisse. Une harmonisation est nécessaire, ne serait-ce que pour pouvoir prendre des décisions allant dans le sens de la réduction des coûts de la santé.
- A quoi pensez-vous?
- Les difficultés et les défis que rencontre aujourd’hui le monde sanitaire, à cause de la modification de la pyramide des âges, poussera à des fusions d’établissements hospitaliers. Il faudra à un moment donné se demander s’il ne convient pas de réunir le CHUV à Lausanne et les HUG à Genève. Cela n’a guère de sens d’avoir deux hôpitaux universitaires à 60 kilomètres de distance dans une même zone économique avec les mêmes spécialités. Il faudra commencer par fusionner, pour ensuite parvenir à une répartition des spécialisations.
- Les hôpitaux privés sont-ils vraiment mieux gérés?
- Non. Je ne suis pas dogmatique à ce propos. On le voit avec l’introduction du forfait par cas (DRG) qui permet une comparaison objective entre les acteurs. L’hôpital cantonal de Winterthour ou celui de Lucerne, pour ne citer qu'eux, sont des établissements publics admirablement bien menés. Pour améliorer globalement les choses, il faut cependant introduire un modèle d’incitations financières et de récompenses. Aujourd’hui, le système déresponsabilise les acteurs puisque si l’assuré consomme moins de prestations de santé il en retire peu d’avantages financiers, et qu’un hôpital qui opère davantage en ambulatoire se voit même pénaliser, alors que c’est un bon moyen de limiter les coûts de la santé.
- Quelles mesures préconisez-vous?
- Il faut revoir le sytème tarifaire qui fige de trop grosses différences entre le remboursement de prestations ambulatoires et stationnaires. Un médecin qui pratique une certaine opération orthopédique en stationnaire peut facturer 2000 francs, alors que ce même geste, réalisé en ambulatoire, ne sera valorisé que 500 francs. Libéraliser l'installation de médecins ne fait pas progresser les coûts de la santé si on fait jouer la concurrence entre les acteurs avec des tarifs libéralisés. Il s'agit également d'ouvrir les frontières. En Suisse, un IRM coûte 600 francs, contre 110 euros en Espagne, où le même appareil réalisera jusqu'à six fois plus de prestations qu’en Suisse. Il faut aussi introduire un système de financement moniste des hôpitaux, soit un financement direct des prestations par les assurances, sans que cela soit biaisé par des prestations d'intérêt général versées par l'Etat aux établissements cantonaux, ou des prêts sans intérêt. Les hôpitaux peuvent continuer à appartenir à l’État, comme le sont par exemple Swisscom ou plusieurs banques cantonales, mais ils doivent être gérés et contrôlés de manière indépendante. Cette mutation positive s’est produite dans le secteur bancaire lorsque le pouvoir politique s’est retiré des conseils d’administration de banques cantonales.
- Est-il possible de stopper la hausse des primes d’assurance maladie?
- Bien sûr. Par l’innovation. Les prix ont par exemple chuté dans la chirurgie dentaire, la chirurgie esthétique ou la chirurgie réfractive de l'oeil au laser. Non remboursées, ces disciplines ont bénéficié de l'effet de la concurrence qui pousse à l'innovation. L'innovation médicale est malheureusement trop souvent bloquée par des réglementations contraignantes et le manque de récompense financière directe pour les investisseurs. Un autre domaine d’économie possible serait d’autoriser les importations parallèles de médicaments et de matériel afin de faire disparaître le surcoût payé en Suisse.
- La couverture de base de l’assurance maladie est-elle trop généreuse?
- Comparée à l’étranger, c’est une couverture de grand luxe. Selon moi, chaque individu a droit à recevoir des soins, mais pas d’être remis à neuf régulièrement. Un patient de 65 ans doit-il absolument obtenir une prothèse du genou pour pouvoir continuer à skier jusqu’à 80 ans? L’assurance de base devrait couvrir les soins minimums, et ensuite la médecine peut être à 25 vitesses selon le degré de confort exigé par l’assuré en relation avec le supplément de primes qu’il est prêt à payer. Le système devrait ressembler à celui mis en place pour l’assurance RC et casco véhicule qui responsabilise l’assuré. Je suis également partisan d’un dispositif de surprime pour les gens qui prennent des risques pour leur santé, par exemple les fumeurs, les sportifs de haut niveau, ou les personnes en surpoids.
- Hirslanden, numéro un des cliniques privées en Suisse, réalise un chiffre d’affaires de 1,6 milliard de francs, près de trois fois supérieur à celui d’Aevis et une marge bénéficiaire de 19,7%, contre 12,6% pour votre société. Quelle est la cause de cette faible rentabilité?
- Certaines cliniques récemment acquises sont encore déficitaires. C’est le cas de la clinique Lindberg à Winterthour, entièrement rénovée. Il a aussi fallu huit ans ans pour repositionner la clinique de Valmont, au-dessus de Montreux. D’autres établissements sont par contre arrivés à maturité. Nous visons donc une marge bénéficiaire EBITDA de 20% dans les deux à trois prochaines années. L’objectif de parvenir à un réseau de 20 à 25 cliniques reste d’actualité afin d’être présent dans une majorité de cantons, mais nous sommes encore actuellement dans une période de digestion des récentes acquisitions.
- Un développement à l’étranger est-il envisageable?
- Les marchés de la santé sont aujourd’hui nationaux, mais le moment viendra où s’amorcera un mouvement international de concentration. Je ne refuserais donc pas l’occasion d’un rapprochement avec un groupe hospitalier bien implanté dans un pays européen, mais je n’ai noué aucun contact en ce moment à ce sujet.
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- Aevis gère déjà un service d’ambulances à Genève. Pensez-vous renforcer cette activité?
- C’est en projet. Le domaine est intéressant, mais c’est compliqué à cause du fort morcellement du marché.
- Vous étiez récemment dans la Silicon Valley. Qu’y cherchiez-vous?
- Nous sommes allés voir de quoi sera fait le futur de la santé. De nouveaux acteurs, comme Google ou Apple, capables d’analyser des milliards de données médicales, entreront sur ce marché et feront davantage de découvertes qu’un chercheur enfermé dans un laboratoire. Notre réseau de cliniques pourrait jouer un rôle d’interface entre ces nouveaux acteurs et les patients disposés à fournir leurs données anonymisées.
- Vous avez admis avoir été un «con arrogant» au début de votre carrière professionnelle dans la vente de meubles. Où en êtes-vous aujourd’hui?
- J’ai vécu deux épisodes malchanceux dans ma carrière. Le premier, en 1996, s’est terminé par un court séjour en prison préventive, le second, en 2010, par une victoire totale suite à une tentative de putsch pour me déposséder de ce qui allait devenir Swiss medical network. J’ai probablement beaucoup mûri entre les deux, et j’ai surtout compris que l'on récolte ce que l'on sème.
- Vous êtes actionnaire minoritaire du quotidien l’Agefi. Une augmentation de capital a été annoncée il y a longtemps déjà pour renflouer le titre. Quand aura-t-elle lieu?
- Très prochainement. De toute manière, il faudra bien injecter des fonds dans l’Agefi qu’on ne va pas laisser mourir.