Une compagnie aérienne qui promet la neutralité carbone, une banque qui vante des placements à impact positif sur l’environnement, ou encore une administration qui affirme avoir réduit les émissions de gaz à effet de serre de ses bâtiments: voici juste un échantillon de l’avalanche quotidienne de communiqués sur le thème de la durabilité qui déferle dans les boîtes mail des journalistes du Temps.

D’où la nécessité de se doter d’un outil pour faire le tri entre ce qui relève d’une vraie démarche environnementale et ce qui n’est qu’un cas d’éco-blanchiment, ce procédé qui consiste à verdir le discours dans le seul but de se donner une bonne image. C’est chose faite avec le manuel anti-greenwashing, publié dans notre édition du 27 décembre dernier, ici en pdf.

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Quand l’idée a germé, il y a près d’un an, nous – une poignée de journalistes issus de diverses rubriques – projetions d’en faire une charte. Soit un document à valeur quasi juridique, ou en tout cas morale, qui impliquait une forme d’obligation. A laquelle nous et le journal n’étions finalement pas prêts à consentir.

Inclus dans la charte rédactionnelle

Car, oui, nous sommes engagés sur la cause environnementale, qui dépasse le strict cadre des débats politiques et clivages gauche-droite, et fait partie d’au moins trois des sept causes définies comme prioritaires par Le Temps à l’occasion de ses 20 ans et intégrées à sa charte rédactionnelle: «climat», «économie inclusive» et «technologie au service de l’homme».

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Mais nous ne sommes pas militants, et encore moins donneurs de leçons. D’autant que le journal n’échappe pas à ses propres contradictions – la publicité pour une nouvelle liaison aérienne encartée en pleine page dans l’édition spéciale climat du 9 mai 2019 n’avait d’ailleurs pas manqué de faire réagir; l’occasion de rappeler que contenus publicitaires et rédactionnels sont clairement séparés dans le journal, ce qui n’a pas lieu d’être remis en cause.

Pas question non plus, avec ce projet, d’entraver les choix éditoriaux. Nous voulions au contraire trouver un moyen d’analyser rapidement et efficacement les messages recourant à l’argument écologique, pour pouvoir ensuite traiter ou non l’information, en connaissance de cause.

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Exit, donc, l’appellation de «charte», qui par ailleurs prêtait à confusion, au vu des autres chartes, notamment de l’écologie, dont a accouché le journal entre-temps. Parlons simplement de «manuel».

L’apport externe

Enfin, «simplement», c’est vite dit. Nous avions bien acquis quelques astuces au gré de nos expériences, pour lire entre les lignes des communiqués, flairer les pièges – c’est d’ailleurs ce qui nous donne, selon nous, la légitimité d’en parler. Mais il a fallu donner une valeur plus scientifique à ces astuces. Nous les avons donc confrontées à l’œil avisé d’experts: des consultants en durabilité, des représentants des milieux académiques, mais aussi de l’industrie, et des militants écologistes.

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La synthèse de ces discussions tient en sept questions, condensées sur une page A4: des réponses majoritairement négatives signalent un potentiel cas de greenwashing. Simple dans sa forme et son utilisation, le document a servi lors de nos discussions sur la ligne éditoriale du journal, qui ont mené à revoir la charte rédactionnelle. Ce manuel a par ailleurs une portée plus large: nous nous sommes aperçus qu’en remplaçant écologie par égalité, ou, pourquoi pas, technologie, il permettait de déjouer bien d’autres messages opportunistes sur les questions de genre ou d’innovation.

L’outil, en mains des journalistes de la rédaction, est désormais à l’épreuve du terrain, de l’actualité quotidienne aux enquêtes. Et offert à nos lecteurs, aujourd’hui plus avertis encore.