«Ce que vous voyez, ce n’est pas l’heure de votre décès, mais le temps de vie consommé. Ça vous donne une idée de ce qu’il vous reste comme temps pour réaliser vos rêves, vos ambitions.» Benoit Dubuis ne voit pas Tempus Fugit, le garde-temps dont il est l’initiateur avec la Fondation Inartis, comme un objet morbide, mais bien au contraire comme une injonction à vivre. «C’est un appel à l’action et une intime conviction que la prise de conscience du temps qui passe est un encouragement à la réalisation de soi, à l’affirmation du sens de notre vie et à l’importance de notre engagement pour un monde meilleur.» Un projet qui a séduit le Grand Prix de l’horlogerie qui l’a nominé dans la catégorie Calendrier & Astronomie pour son édition 2022.

Aventure horlogère

C’est en 2020 que cette idée de compte à rebours naît dans la tête de cet homme multifonction, à la fois directeur de Campus Biotech à Genève, président de la Fondation Inartis, dédiée à l’entrepreneuriat et à l’innovation, ainsi que président de l’Académie suisse des sciences techniques. Il mandate alors l’horloger Dominique Renaud, connu notamment pour avoir fondé Renaud & Papi, manufacture spécialisée dans la conception et production de montres à complications et rachetée par Audemars Piguet, pour concevoir cette pièce si particulière. Cet ancien briscard de l’horlogerie a tenu à s’associer à la relève pour gagner ce défi fou. C’est ainsi que Julien Texier, brillant horloger de la vallée de Joux, œuvrant dans l’ombre pour les plus grands noms, s’est retrouvé embarqué dans l’aventure.

«Entre nous deux, cela a tout de suite fonctionné, souligne enthousiaste le benjamin du projet. Nous foisonnons d’idées, nous réinventons les fondamentaux, et avons toujours envie d’aller plus loin que ce qui s’est déjà fait.» Dominique Renaud avait déjà en tête de doter ce garde-temps de la plus rare des complications, le quantième séculaire, un calendrier programmé sur plusieurs milliers d’années qui confère une notion d’éternité. «La vie est éphémère et le choix du quantième séculaire représente l’infini, une suite de vies.»

Jauge de vie

Les deux horlogers ont passé deux ans à mettre au point ce garde-temps, brevetant au passage leur quantième perpétuel séculaire, le plus compact et le plus précis jamais conçu. Pour répondre au postulat de départ voulu par Benoit Dubuis, à savoir créer une montre qui indique à son propriétaire le temps qu’il lui reste à vivre, ils ont imaginé une jauge colorée, qui vire du bleu au noir au fur et à mesure que les années s’écoulent. «Il n’y a pas de date précise de la mort, elle est figurée par une zone de couleur dégradée sur quelques années», souligne Dominique Renaud. Calibrée sur cent ans, la jauge est réglée avec les données fournies sur son propriétaire par une puce dépositaire de son génome et qui détermine son espérance de vie.

«Il s’agit d’un algorithme créé par une équipe composée à la fois de généticiens, de personnes qui viennent du monde de la statistique et de sociétés qui travaillent dans les domaines de la génomique», explique le directeur de Campus Biotech. «Il y a trois grands facteurs qui influent sur l’espérance de vie, qui se situe approximativement à la naissance entre 80 et 85 ans: les accidents, les contaminations et les composantes génétiques, telles que les mutations somatiques ou l’épigénétique. Le but était d’intégrer chacun de ces paramètres, qui sont liés à l’environnement, au mode de vie et à la génétique pour calculer une espérance de vie personnalisée. Ce projet suit ce que nous faisons à Campus Biotech avec tous les aspects de médecine numérique et quantitative.» Une technologie qui, pour l’anecdote, intéresse fortement les assurances maladie, dont deux ont déjà contacté Benoit Dubuis afin d’avoir accès à l’algorithme. Ce qui leur a été refusé pour des questions éthiques.

Message secret caché

La démarche lancée par la Fondation Inartis, qui demeure propriétaire des brevets et de la montre, se veut avant tout philosophique. «Ce n’est pas une montre, c’est une capsule temporelle personnalisée, une sorte de manifeste de sa propre vie, de ce qui s’est déjà passé et de ce qui va se passer, explique Julien Tixier. C’est un objet qui a été créé pour être transmis.» En effet, un message secret peut être laissé par son détenteur. Il peut choisir au mois près lorsqu’il souhaite qu’il apparaisse sur le cadran, que ce soit cinq, vingt, cent ou 230 ans plus tard. Impossible de le découvrir avant la date choisie. Conçu avec une serrure identique à celle d’un coffre-fort, le boîtier ne peut être ouvert que par des horlogers accrédités. Autre particularité technique de Tempus Fugit, il n’y a pas de correcteur, tout est lié au calculateur. Ni de tige de remontoir d’ailleurs, remplacée par une clé.

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Son prix de vente, dont l’intégralité revient à la fondation et sera utilisée pour l’innovation, ne doit rien au hasard non plus. Fixé à 376 730 francs, il correspond à la valeur de l’impédance caractéristique du vide, une constante physique, liant les amplitudes des champs électrique et magnétique se propageant dans un espace libre. «Nous avons utilisé cette valeur, parce que nous voulons que les gens remplissent le vide», sourit Benoit Dubuis, ravi de cette invention qui interpelle et questionne sur le rapport que l’on a au temps.


La magie du quantième séculaire

Conçu pour répondre aux exigences du calendrier Grégorien, le quantième perpétuel tient compte automatiquement des mois de 30 et 31 jours et de 28 ou 29 jours en février. Les séquences de sa mémoire mécanique répètent tous les 48 mois pour correspondre au cycle des années bissextiles. Il ne doit être ajusté que lors des années exceptionnellement non bissextiles, c’est-à-dire en 2100 et 2400 pour les prochaines. Si le quantième perpétuel permet de tenir compte des années bissextiles, ce ne sera pas le cas le 1er mars 2100, année séculaire, et donc non bissextile. Une subtilité que le quantième séculaire prend en compte et parvient à contourner. La première montre-bracelet à calendrier perpétuel séculaire a été produite en 1996 par Svend Andersen, un horloger danois installé en Suisse, sous la marque Andersen Genève.

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