À quel point l’économie d’un pays peut-elle souffrir suite à une attaque terroriste? Les experts du monde entier peinent encore à répondre à cette question. Les attentats de vendredi dernier ont ainsi précipité le cours de la prospérité française dans l’inconnu. «Les coûts directs, à court, moyen et long terme, dépendent très largement du contexte de chaque pays, voire carrément du hasard», prévient Alois Stutzer, professeur à l’Université de Bâle et auteur de plusieurs enquêtes sur l’impact économique du terroriste. Selon lui, la facture globale de la menace intégriste est de plusieurs fois supérieure aux éventuels dégâts économiques, stricto sensu. «Dans une étude appliquée à la France, l’Irlande du Nord et au Royaume-Uni entre 1973 et 1998, nous avons pu chiffrer dans quelle mesure les attentats diminuent la satisfaction de vie», poursuit-il. Traduction: durant les pics terroristes des années 1980, par peur d’être victime, les Parisiens seraient prêts à déménager ailleurs, renonçant au passage à 14% de leur revenu annuel, contre 32% pour un Londonien et 41% pour un Irlandais.

Cela étant, les recherches d’Alois Stutzer montrent que certains attentats ont des répercussions durables en termes d’immobilisation de moyens de production. Ils peuvent aussi ralentir le transfert de connaissances technologiques en réduisant l’afflux de capitaux étrangers. Et sont susceptibles de saper la fréquentation touristique (en 1988, année de 18 attentats, ce marché aurait globalement chuté de 30%).

L’insécurité modifie par ailleurs les habitudes des particuliers en matière de consommation, d’économies et d’investissements. Ce qui entraîne une distorsion des allocations de ressources dans le pays touché. Pire: le renforcement des mesures – publiques et privées – de sécurité, engendre des coûts indirects (renchérissement des échanges commerciaux, avec un prolongement d’effets négatifs sur les marchés financiers). Les spécialistes estiment ainsi qu’une hausse de 1% du budget national pour la défense et la sûreté intérieure de 1% du PIB, couplée à une hausse des dépenses privées correspondante de 0,5% du PIB, pénalise la production à hauteur de 0,7% sur cinq ans. Voilà pour la théorie.

Une étude de l’OCDE, réalisée suite aux événements du 11 septembre 2001, permet d’être plus concret. Les conséquences financières des attaques contre les États-Unis sont aujourd’hui estimées à plus de 40 milliards de dollars. Néanmoins, les dégâts économiques directs, au départ très marqués, se sont largement estompés six mois après la tragédie, d’après les experts de l’OCDE. La confiance s’est raffermie rapidement, de même que le cours des actions. Idem pour la consommation (multipliée par cinq, à 1,5%, au dernier trimestre 2001) et l’activité commerciale.

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Ce redressement s’explique notamment par la réaction vigoureuse et immédiate des autorités. À commencer par l’injection massive de liquidités pour rétablir la confiance et préserver l’intégrité des marchés financiers, tout comme la baisse du prix du crédit afin d’éviter une faillite en chaîne d’entreprises, a contribué à endiguer les contres effets de l’intégrisme, selon l’OCDE. «La macroéconomie a un impact plus important sur la croissance que des événements comme celui du vendredi dernier à Paris», abonde Ferrand, directeur général de l’institut de conjoncture Coe-Rexecode, cité dans le quotidien Le Monde.

La dissuasion militaire a également joué un rôle central, à court terme. «La première phase des opérations en Afghanistan a été menée à bien en quelques semaines, ce qui a endigué la période de réaction négative», révèle l’analyse de l’OCDE. Raison pour laquelle le bombardement «massif» de l’État islamique, annoncé par la France dimanche dernier, a été perçu par les marchés comme «un signe d’engagement ferme à détruire le terrorisme, traduisant un alignement des forces internationales pour résoudre les conflits en Syrie et en Irak», relève la banque privée zurichoise LGT. Mais à plus long terme, l’arsenal déployé risque d’étouffer la croissance, sous le poids notamment d’une réglementation excessive. «Le plus grand danger, économiquement parlant, serait que cette rhétorique guerrière s’installe durablement et que la France en oublie, ou utilise sa lutte contre la menace terroriste comme un prétexte pour ne pas accélérer ses réformes budgétaires et structurelles nécessaires», conclut Alois Stutzer.