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La tokenisation déferle sur les actifs illiquides

Détenir une petite partie d'une voiture de collection ou acheter de l'immobilier à travers des jetons numériques: quel intérêt pour l'investisseur et pour le vendeur

Une présentation du Global Crypto Offering Exchange à Hongkong qui propose la «tokenisation» des transactions — © BOBBY YIP/REUTERS
Une présentation du Global Crypto Offering Exchange à Hongkong qui propose la «tokenisation» des transactions — © BOBBY YIP/REUTERS

A quoi ressemble exactement une voiture «tokenisée»? Peut-on placer un véhicule sur la blockchain? Et si oui, quel est l’intérêt de la manœuvre? On peut se poser ces questions en constatant l’essor de projets visant à «tokeniser» des véhicules de collection. L’anglicisme tokenizer est la variante 2018 d’une procédure bien connue en finance: la titrisation. Sauf qu’au lieu d’émettre des actions comme titres de propriété d’un actif ou des obligations, des jetons numériques sont créés et échangés. Ces «tokens» peuvent avoir plusieurs utilités: placés sur la blockchain, ils peuvent établir l’authenticité d’une Mercedes ancienne ou permettre à n’importe qui d’investir dans l’immobilier à moindres frais. Explications.

La base de ce phénomène commence à être connue. La blockchain est un grand registre numérique infalsifiable. Les éléments qui sont placés sur la chaîne de blocs ne peuvent pas être modifiés sans que toute la communauté active sur la blockchain ne s’en aperçoive. Cette caractéristique a donné l’idée à Fernando Verboonen de placer sur la blockchain l’équivalent de cartes d’identité pour des véhicules exceptionnels. Pas les véhicules eux-mêmes.

Voiture en multipropriété

«Toutes les caractéristiques d’une voiture sont rassemblées dans un document, de son numéro de châssis à sa couleur en passant par son historique, et ce certificat est placé sur la blockchain. Ces informations facilitent l’évaluation d’un véhicule et limitent le risque de fraude», explique le créateur de Mercuria Helvetica, une société zurichoise qui intervient à la fois en tant que courtier en automobiles rares et gérant de fortune.

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La blockchain permet également la multipropriété d’un actif. Pour continuer avec l’exemple d’une voiture, le détenteur d’un token peut hériter de certains droits, comme celui de conduire le véhicule pendant un certain nombre de jours, ou de pouvoir le conserver à la maison, voire de détenir des droits attachés à ce bien – par exemple, d’en prendre des photos et d'encaisser le fruit de leur vente.

L’intérêt pour le propriétaire initial peut sembler moins évident. «Un propriétaire peut ainsi générer des revenus à partir de sa collection de voitures anciennes sans devoir la vendre», poursuit Fernando Verboonen, qui compte parmi ses conseillers Henrik Fisker, le créateur d’un des premiers «supercars» électriques, la Fisker Karma.

Supprimer les intermédiaires immobiliers

A la tête de Token Estate, Vincent Trouche propose lui aussi un modèle de «tokenisation». Dans l’immobilier cette fois. «Notre solution permet aux acteurs de l’immobilier de lever des fonds en supportant des frais bien inférieurs à ce qui se pratique actuellement», résume l’entrepreneur, ingénieur industriel de formation et dont le parcours l’a amené dans le négoce des matières premières puis la réalité virtuelle.

Le modèle d’affaires repose sur l’abaissement des barrières à l’entrée, qui découle à son tour de la désintermédiation. «Au lieu d’effectuer une coûteuse introduction en bourse, un fonds immobilier ou toute société détenant des immeubles pourra émettre un jeton numérique d’investissement [security token, ndlr] en direct, sans recourir aux banques d’affaires, aux courtiers ou aux organismes de clearing», décrit le fondateur de Token Estate, qui compte une dizaine de collaborateurs entre Genève et Neuchâtel, après un an d’existence.

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Ce jeton ne sera pas imprimable ni échangeable via un courtier, mais pourra changer de mains de gré à gré et à travers des plateformes d’échange basées sur la blockchain. Plusieurs projets de bourses numériques basées sur la blockchain sont bien avancés en Suisse, dont la plateforme Taurus à Genève, Lykke ou encore celui porté par SIX. Un autre moyen d’échanger ces jetons est de permettre à leurs détenteurs de constituer un compte de consignation sur la blockchain. Le vendeur passe un ordre de vente, avec un prix demandé, et dès qu’un acheteur s’engage dans le délai imparti, la transaction se conclut grâce à un smart contract.

Des frais divisés par quatre

La baisse des coûts permettra aux petits acteurs de l’immobilier de vendre des parts de leurs fonds partout dans le monde, assure encore Vincent Trouche. L’entrepreneur mentionne des frais de 2,5% des sommes levées pour son service, alors que la facture peut monter jusqu’à 10% lors d’une introduction en bourse. En conséquence, un placement immobilier «devient accessible aux petits investisseurs qui souhaitent pouvoir placer une partie de leur épargne dans la pierre, où que ce soit dans le monde et à un coût bien inférieur à celui pratiqué par les fonds de placements immobiliers», poursuit-il.

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Dans la pratique, un chauffeur de taxi de Singapour – c’est l’exemple utilisé à plusieurs reprises par notre interlocuteur – pourra investir dans des portefeuilles immobiliers en Suisse ou ailleurs dans le monde. Donc placer une petite somme, «pour que l’investissement ne soit plus un privilège et permette au contraire à un ressortissant de pays émergents de s’affranchir de la volatilité de sa monnaie locale, par exemple», poursuit Vincent Trouche. Selon lui, ce genre d’initiative pourrait même aider la place financière à offrir au reste du monde son savoir-faire en matière de gestion de fortune et la protection offerte par les lois suisses.

La plateforme de Token Estate vise à créer un standard pour la «tokenisation» immobilière, en définissant des meilleures pratiques en matière de lutte contre le blanchiment ou de connaissance du client. Des économies d’échelle sont également au programme, car les acteurs immobiliers auront besoin de services similaires afin d’émettre et de distribuer leurs jetons numériques d’investissement à l’international. La société, passée par l’incubateur genevois Fongit, prévoit également de créer un service d’information pour les détenteurs de «tokens», avec des données sur les biens dans lesquels ils investissent, par exemple.