En milieu de semaine dernière, une rumeur a couru dans Tokyo. Enfin, le gouvernement allait oser démanteler, dans le cadre des «Abenomics», son archaïque politique agricole. Et les premiers articles de presse sont apparus pour expliquer que l’équipe du premier ministre, Shinzo Abe, avait validé un projet de loi organisant le démantèlement de l’étonnant programme de soutien aux producteurs de riz de l’Archipel, lequel coûterait près de 10 milliards de dollars par an au consommateur. Mais, vendredi soir, les spécialistes de cet épineux dossier, ayant fini d’éplucher le projet de réforme, concluaient que le système d’aides allait être, en fait, conforté. «En un mot, cette réforme est une vaste falsification», a lâché Kazuhito Yamashita, un chercheur du Canon Institute for Global Studies.
Très proche de sa base électorale rurale, la droite japonaise, emmenée par le LDP actuellement au pouvoir avec Shinzo Abe, a toujours essayé de maintenir les revenus des producteurs de riz locaux.
Les gouvernements successifs ont donc mis en place des tarifs douaniers de 777,7% sur les importations de riz étranger et établi un système de subventions, baptisé «gentan», maintenant le prix du riz à un niveau très élevé dans le pays. Et ce malgré la chute continue de la consommation domestique.
Rendements désastreux
L’an dernier, les Japonais n’ont mangé, en moyenne, que 56 kilos de riz par personne, contre 118 kilos au début des années 1960. Pour compenser cet effondrement, l’Etat a décidé en 1970 de financer une réduction graduelle de la production.
Une fois par an, l’administration évalue les volumes annuels de la demande et incite les paysans à réduire les surfaces de leurs rizières pour éviter une surproduction. Les agriculteurs qui restreignent les surfaces cultivées se voient offrir une compensation d’au moins 150 000 yens (1500 dollars) par hectare «abandonné». «Et ce paiement dure tant que le fermier confirme qu’il n’a pas repris la culture de riz sur l’ancienne parcelle», explique Kazuhito Yamashita.
Si les fermiers peuvent utiliser leur ancienne rizière pour d’autres cultures tout en profitant du «gentan», la plupart se contentent de toucher les subventions et ne cultivent plus qu’une minuscule parcelle de riz pour ne pas perdre le bénéfice du système. Le Japon est donc découpé en 1,2 million d’exploitations d’une taille désormais inférieure à un hectare, et où les coûts de production sont astronomiques et les rendements désastreux.
Le prix du riz japonais ne peut plus, dès lors, prétendre affronter la compétition mondiale, et les remembrements, qui permettraient de gagner en productivité, sont freinés. «Chaque année, le gouvernement dépense 500 milliards de yens pour ces subventions. En gonflant artificiellement le prix du riz, cette politique coûte aussi 500 milliards de yens supplémentaires aux consommateurs», s’offusque l’expert, ajoutant que l’actuel projet de réforme ne porte que sur un complément d’aides mis en place depuis 2010.
Négociations tendues
Si ce système semble accepté par la population, il scandalise les partenaires commerciaux du Japon, qui réclament sa refonte dans le cadre de la négociation du Partenariat transpacifique (TPP), un gigantesque accord de libre-échange qui associe à l’Archipel les Etats-Unis, l’Australie, le Chili ou encore la Malaisie. En refusant de mettre en danger sa production de riz, Tokyo risque de vite provoquer les foudres de plusieurs capitales.
Dimanche soir, Akira Amari, le ministre japonais de l’Economie, confiait d’ailleurs que les négociations du TPP avec Washington étaient «très tendues».