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Transfert de technologie du public au privé: apprenons (enfin) à modéliser!

L'Economie Réelle, issue de la fusion de l'Ancienne et de la Nouvelle Economie, est dominée par la technologie et le savoir. Le rôle des universités et des institutions publiques dans leur développement va grandissant et les transferts de technologie du public au privé se multiplient. Nos institutions doivent apprendre à gérer cet actif substantiel, matière première du futur, et se doter des instruments nécessaires à une saine gestion.

Dans le domaine des nouvelles technologies, le haut niveau de nos écoles polytechniques, de nos hautes écoles, de nos universités, de nos hôpitaux universitaires et de nos centres de recherche, comme celui des professeurs et des chercheurs qui les animent, n'est plus à démontrer. Pas plus que le rôle joué par la présence de telles institutions dans le développement de régions et de pôles technologiques. Les universités (au sens large du terme) contribuent au développement d'une économie orientée vers la technologie et le savoir.

Longtemps isolé, le monde académique côtoie désormais quotidiennement le monde des affaires. Deux univers se trouvent ainsi logiquement appelés à collaborer: les universités et les instituts, berceau de la recherche fondamentale, et les entreprises, dont la recherche appliquée aboutit aux produits et services destinés aux entreprises et aux consommateurs. L'échange est bénéfique pour les deux parties. Les institutions assurent de nouvelles sources de financement de leurs projets et les entreprises ont accès à une recherche de premier plan trop coûteuse à développer en vase clos. Les universités, qui n'ont pas vocation commerciale, peuvent passer le relais aux équipes de recherche et de développement d'entreprises privées chargées de développer de nouvelles applications. Ainsi est né le transfert de technologie moderne. Facteur clé de la croissance, il est devenu l'un des principaux vecteurs de l'innovation et de la compétitivité des entreprises à l'échelle internationale. Si le concept semble facilement maîtrisable, sa mise en œuvre pose souvent des problèmes. L'importance du phénomène n'a ainsi pas généré en Suisse le cadre réglementaire, institutionnel et administratif qu'il mérite. L'expérience montre que loin d'être un processus modélisé, le transfert de technologie de nos institutions publiques vers les entreprises privées est resté empirique.

Vers une définition

Le transfert de technologie n'est pas un phénomène nouveau. Depuis longtemps, il est usuel dans le monde des affaires de procéder à des transferts d'informations ou de savoir-faire. L'importance de la technologie dans la société actuelle a cependant dopé le phénomène et les entreprises ont été rejointes par le service public et plus particulièrement les universités et les instituts.

Par transfert de technologie (technology transfer), on entend le processus par lequel une technologie – une connaissance ou une information développée dans une organisation, dans un domaine, ou dans un but précis – est transférée pour être appliquée ou utilisée dans une autre organisation, un autre domaine ou dans un autre but. La notion de technologie, connaissance ou information, est étendue puisqu'elle regroupe les innovations technologiques, les procédés industriels, les savoir-faire techniques, les secrets de fabrication ou encore les droits de propriété intellectuelle (droits d'auteur, brevets, dessins industriels, marques, etc.). De plus en plus souvent, la notion de transfert de technologie est cependant utilisée pour définir la mise à disposition de technologie financée par des fonds publics ou universitaires à l'industrie et le terme vise essentiellement des droits de propriété intellectuelle.

Modalités du transfert

Le transfert de technologie est en effet rendu possible par la protection des droits de propriété intellectuelle de l'institution, par le biais notamment de droits d'auteur (pour les œuvres originales et les logiciels), par le dépôt de brevet, la protection des dessins industriels ou des circuits intégrés ou encore le dépôt de marques.

Le transfert peut prendre différentes formes et une multitude de méthodes existent. L'apport technologique peut se faire par la création d'une division organique, voire d'une entité juridique indépendante et autonome, véritable «spin-off» de l'institution. On peut également procéder par voie de coparticipation ou de «joint-venture», groupement momentané d'entreprises dans un but particulier.

L'instrument classique du transfert de technologie est la licence. L'accord de licence est le contrat par lequel le donneur de licence (licensor) autorise le preneur de licence (licensee) à exploiter un droit intellectuel, d'ordinaire contre le versement de redevances (royalties). Cette «autorisation accordée à un tiers d'exploiter l'invention» comme la définit la loi sur les brevets d'invention, ne fait pas l'objet de dispositions légales spécifiques et on lui applique par analogie certaines règles de contrats qui lui sont proches, comme le contrat de bail ou le contrat de société simple. Il en résulte que les accords des parties et, partant, les clauses des contrats sont déterminants pour fixer les droits et les obligations respectifs des parties.

Les éléments essentiels d'un contrat de licence sont la délimitation de l'étendue de la mise à disposition, le prix de la technologie transférée et les clauses applicables à la durée et la fin du contrat. Quant au champ d'application, on distingue principalement la licence exclusive (exclusive licence) de la licence simple (non exclusive ou sole licence). Dans le cas d'une licence exclusive, le donneur renonce à user des droits ou techniques qu'il a concédés au preneur: il ne peut plus les utiliser pour lui-même et ne peut plus concéder la même licence à un tiers. Une exclusivité absolue revient ainsi le plus souvent à une vente de technologie. En cas de licence simple, le donneur peut faire usage lui-même des droits ou techniques concédés et concéder la même licence à un tiers. Entre exclusivité absolue et licence simple, l'exclusivité limitée permet en principe au donneur d'utiliser l'invention et ne restreint la concession à un tiers que dans un secteur ou un périmètre géographique limité. S'agissant de technologies développées avec des fonds publics, on optera plutôt pour des licences simples ou des licences exclusives limitées à des domaines d'application (fields of use) précisément définis. Ainsi, l'institution permettra une diffusion de la technologie développée dans le secteur public à plusieurs entreprises.

Quant au prix de la technologie concédée, il peut prendre différentes formes. La plus simple est la redevance (royalties) périodique, en espèce, proportionnelle au chiffre d'affaires ou au nombre d'unités produites. Sa détermination dépend évidemment de facteurs extérieurs comme la nature des produits fabriqués sur la base de la technologie concédée, la valeur ajoutée des développements technologiques ultérieurs, fruit de la recherche de l'entreprise preneur de licence et de la fabrication sous contrat. La plupart du temps, le donneur fixera une redevance périodique minimale, due même en cas de non-exploitation de la licence. Autre variante, la redevance forfaitaire (payable en une ou plusieurs fois) est usuelle dans les contrats portant sur des technologies de pointe, ainsi qu'en cas de licence exclusive assimilée à une vente. En sus d'une redevance, une institution publique demandera dans la plupart des cas que tous les frais liés à la protection passée, présente et future de la propriété intellectuelle soient à la charge de l'entreprise. Dans le cas de transfert à une start-up, la rémunération comprend de plus en plus souvent, pour autant que la loi et les règles de l'institution le permettent, une seconde partie en nature, sous la forme d'une option permettant d'acquérir des actions (à une valeur très réduite) de l'entreprise preneur de licence ou sous la forme de remise d'actions de ladite entreprise. Une telle méthode nécessite des accords clairs quant à la participation dans l'entreprise et se double le plus souvent d'une convention d'actionnaires, qui fixe les droits et les obligations de l'institution en tant qu'actionnaire de l'entreprise, notamment en cas de financement de celle-ci ou de sortie (vente, entrée en Bourse, etc.). Elle nécessite une politique structurée et des organes de gestion appropriés.

Les règles sur la durée et la fin du contrat de licence sont très importantes. Soit le contrat est prévu pour une durée déterminée, soit il convient de fixer un délai de résiliation. Par ailleurs, l'institution donneur de licence prévoira la possibilité de résilier immédiatement ou rapidement le contrat en cas d'inexécution matérielle du contrat par le preneur de licence, voire de non-production minimale ou de non-commercialisation de produits fabriqués sur la base de la licence, ainsi qu'en cas d'insolvabilité ou de faillite du preneur, par exemple. Les parties devront également prévoir ce qu'il advient des produits fabriqués sous licence et des informations échangées entre les parties. On relèvera qu'en cas de litige l'ensemble des circonstances et le comportement des parties, notamment leur bonne foi ou l'absence de celle-ci, joueront un rôle considérable.

Parmi les autres clauses importantes on notera les modalités de la reddition de compte par le preneur de licence, l'échange d'informations entre les parties, les garanties éventuelles, les relations avec les tiers (notamment en cas de contestation des droits ou techniques concédés), ainsi que le maintien et l'extension éventuelle des droits intellectuels concédés.

La nécessité de modéliser

A défaut d'un cadre législatif précis, chaque université et institution publique doit se doter de ses propres règles et pratiques. Nos universités et instituts n'ont cependant que peu appris à modéliser. Des efforts ont été faits çà et là pour tenter d'uniformiser certaines pratiques et de mettre en place des processus. Le système reste cependant globalement imparfait et très en retard par rapport aux systèmes développés à l'étranger, notamment aux Etats-Unis.

Il est pourtant essentiel, sinon impératif, que nos institutions modélisent leurs processus de transfert de technologie. Tout d'abord, la qualité de nos institutions et de leurs chercheurs, les limites des possibilités des entreprises en terme de recherche, la nécessité de rapprochement de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée et la volonté de nombreux chercheurs de créer leur propre entreprise vont inévitablement conduire à l'augmentation du nombre de cas. Ensuite, la nécessité pour les institutions publiques de gérer leurs actifs immatériels de manière économiquement viable et efficace, le souci de transparence et d'accessibilité nécessitent des processus clairs. Enfin, le risque non négligeable de conflits d'intérêts, tant au niveau de l'institution elle-même (lorsque ses intérêts d'actionnaire entrent en conflit avec ses obligations d'intérêt public, par exemple) qu'au niveau des individus (notamment lorsque les intéressés, chercheurs auprès de l'institution, décident de créer leur propre entreprise, véritable «spin-off» ou émanation de l'institution, tout en conservant un poste dans l'institution), prônent l'instauration de systèmes transparents. A l'image des universités et des agences américaines, nos institutions doivent se doter de directives (guidelines) claires et accessibles à tous. Elles doivent également créer les structures internes nécessaires et renforcer les timides services de transfert de technologie existant. La tâche n'est pas simple. Il s'agit d'identifier les recherches justifiant une protection intellectuelle qui rend possible le transfert, de modéliser les processus et les modèles de transfert de technologie et de gérer les portefeuilles de droit de propriété intellectuelle, mais également de participations obtenues dans les sociétés (cf. infographie). La simple adoption d'une politique claire en matière de contrat de licence est complexe. La brève description de ce contrat ci-dessus permet de se rendre compte du nombre de paramètres important et de la nécessité de choix «politiques» peu aisés à faire. A défaut de politique claire, les institutions se trouvent confrontées à des entreprises avides de technologie à bon compte, conseillées par des experts en technologie et en montage financier, ainsi que des avocats avisés, qui s'assureront du meilleur «deal» pour leurs clientes, souvent au détriment de l'institution.

La valeur et le potentiel de nos universités et institutions justifient un investissement considérable en terme d'organisation et de structure pour modéliser le transfert de technologie. Le challenge est là, saisissons-le! Le retour sur investissement est garanti: le transfert de technologie est un moteur du développement de la Suisse d'aujourd'hui, centre de technologie, de savoir et de compétences et berceau d'innovations révolutionnaires. Le reste n'est que cerise sur le gâteau: plus de deniers pour nos institutions publiques, grâce au commerce de technologie et aux plus-values réalisées sur les participations obtenues en échange.