Le très pâle procès Madoff qui s'est ouvert à Genève
Justice
L'ancien directeur général d'Optimal est jugé pour gestion déloyale aggravée. Le fond de la société a perdu près de 3 milliards de dollars mais l'acte d'accusation retient uniquement le préjudice de 101'000 francs causé au seul plaignant de cette affaire

L'ultime procédure pénale liée à la gigantesque fraude Madoff s'est réduite comme peau de chagrin. Manuel Echeverria, ancien directeur général de la société Optimal Investment Services, filiale du géant bancaire Santander, comparaît depuis lundi devant le Tribunal de police de Genève pour avoir géré de manière irresponsable un fonds d'investissement qui rabattait pour le maître des courtiers new-yorkais et ce afin d'en tirer un profit maximum. Le procureur Marc Tappolet a déjà annoncé la couleur. Il ne demandera rien de plus qu'une peine de 300 jours-amendes avec sursis.
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Quant au principal intéressé, il plaidera son acquittement. «Bernard Madoff s'est toujours montré très rassurant. Le travail d'Optimal a été exhaustif et prudent mais la fraude était trop sophistiquée. Tout collait et il était même capable de tromper les autorités de surveillance», explique, en anglais, Manuel Echeverria. Agé de 55 ans, ce suisso-guatémaltèque a d'ores et déjà prévenu qu'il ne répondra à aucune question du Ministère public ou de la partie plaignante. La suite de son interrogatoire, prévue ce mardi, sera donc certainement plus brève.
Un énorme dossier
Derrière la présidente Alexandra Banna, juge unique de ce procès, trône la centaine de classeurs réunis durant près de 7 ans d'instruction. Au final, les reproches tiennent sur deux pages. Les huit autres pages, plutôt destinées à la galerie, ont été écartées sans ménagement par la magistrate au motif qu'un tel résumé historique n'avait pas sa place dans un acte d'accusation. Quant au préjudice allégué par le seul plaignant de ce dossier, il se monte à 101'000 dollars. A voir le bataillon d'avocats attentifs dans le public, les gros enjeux- quelque 7 milliards investis depuis Genève, dont près de 3 milliards via Optimal- se joueront visiblement ailleurs.
Point de procès financier sans querelles incidentes. La partie plaignante, représentée par Mes Laurent Moreillon et Miriam Mazou, a porté la première escarmouche en demandant une aggravation des charges. L'escroquerie serait ainsi plus à même de tenir compte des astuces déployées par Manuel Echeverria pour endormir la méfiance du client trompé. Requête écartée ce d'autant plus que le procureur Tappolet, visiblement las de s'ébrouer dans les coulisses de l'arnaque de Wall Street, ne semble pas du tout décidé à emprunter ce chemin accidenté.
Les offensives de la défense
Les autres offensives ont été menées par la défense. Mes Saverio Lembo et Andrew Garbarski, ont tenté d'écarter le plaignant, lui-même gestionnaire de fortune, au motif que celui-ci a instrumentalisé la justice pour se soustraire à sa responsabilité vis à vis de ses clients qui ont perdu 38 millions dans l'effondrement du château de cartes. Et aussi pour moult autres raisons plus techniques. La manœuvre a momentanément échoué et le tribunal se réserve de repenser la question au moment des plaidoiries finales.
Les avocats de Manuel Echeverria ont enfin demandé l'audition, par commission rogatoire, de témoins introuvables ou réticents. A défaut, la défense propose d'exclure du dossier toutes les dépositions recueillies au cours de la procédure civile américaine. «Ce toilettage aura le mérite de nous rapprocher d'un procès plus équitable», a relevé Me Lembo en soulignant que son client n'a jamais pu être confronté ou poser ses questions. Le tribunal a décidé de se passer des absents et de garder ces preuves qui ne sont pas illicites mais qu'il promet d'examiner avec le recul nécessaire.
Ces dépositions, et d'autres aussi, sont assez contrariantes pour Manuel Echeverria. Un employé d'Optimal dit ainsi avoir rappelé l'absence de vérifications et tiré la sonnette d'alarme en 2004 déjà. Selon ses contacts, la gestion affichée par le courtier américain, soit un montant de 20 milliards de dollars, était tout simplement impossible à exécuter sans avoir d'impact sur les marchés financiers. Un autre employé, responsable de la «due diligence», raconte comment le prévenu l'a empêché de faire son travail et dissuadé d'aborder certains sujets en présence de Bernard Madoff.
«Des explications cohérentes»
Des reproches balayés par le principal intéressé qui assure n'avoir pris aucun risque excessif. «La stratégie de Bernard Madoff m'apparaissait comme une stratégie conservatrice. Les résultats étaient consistants et ses explications étaient cohérentes», précise Manuel Echeverria sur question de la présidente. Pourquoi ne pas avoir demandé l'accès au «Madoff client account» auprès du principal dépositaire de titres américains ? «On en a discuté mais il a refusé. Ce n'était pas l'usage d'avoir ce genre d'accès global et je pensais que les autorités de surveillance allaient contrôler».
Le prévenu se souvient aussi de ses visites au Lipstick Building. Il n'a pas demandé à visiter le centre du trading et de ses algorithmes au 17 eme étage. «Bernard Madoff m'a reçu dans son bureau. Il expliquait le processus électronisé de façon très crédible. Il n'y avait aucune raison d'avoir des soupçons». Manuel Echeverria conteste enfin avoir muselé ses collaborateurs : «Tout était abordé et l'atmosphère était à la transparence».
En 2008, quelques mois avant la chute de l'escroc du siècle, le prévenu a démissionné d'Optimal pour des raisons, assure-t-il, qui n'ont rien à voir avec cette affaire. Depuis lors, Bernard Madoff a été condamné à 150 ans de prison et 11 de ses complices ont aussi plaidé coupables. Manuel Echeverria, qui continue une carrière de financier, entend bien démarquer son destin de celui de cette équipe. Il devrait être fixé sur son sort vendredi car la gestion déloyale simple, sans l'aggravante de l'enrichissement, sera prescrite... samedi.