A vrai dire, le vacancier moyen ne mettrait pas une bonne note au siège de TripAdvisor, ce site internet qui réunit les commentaires des voyageurs du monde entier sur les hôtels, les restaurants, les monuments, les musées ou les paysages.
Situés dans une zone industrielle quelconque, les bâtiments sont anodins. La décoration est rudimentaire, mis à part quelques chouettes colorées – l’emblème de la société. Seuls les chips gratuites, un accueil plutôt souriant et les alentours redorent le tableau.
Le cauchemar des «attrape-touristes» est caché à Newton, dans le Massachusetts. Une banlieue cossue située à une demi-heure de route de Boston, où s’étendent d’immenses villas aux allées verdoyantes. Certains manoirs y appartiendraient à la famille Kennedy.
A sa manière, Steve Kaufer incarne le rêve américain. Regard iceberg, mâchoire carrée et parole millimétrée, le PDG fondateur de TripAdvisor gère un énorme vivier de commentaires – plus de 100 millions. «Environ 10% des touristes de la planète consultent notre site pour préparer leurs vacances. C’est beaucoup, mais cela nous laisse encore une marge», estime-t-il.
Sa société affiche une santé insolente. Le groupe a dévoilé, mercredi 24 juillet, ses performances au deuxième trimestre: une hausse du chiffre d’affaires de 25% par rapport à la même période en 2012, à 247 millions de dollars (186 millions d’euros); et une marge opérationnelle de 46%, en progression de 16%. En 2012, TripAdvisor et ses 1700 salariés affichaient 763 millions de dollars de ventes pour 194 millions de marge nette.
En dix-huit mois, le cours de l’action TripAdvisor a triplé. Aujourd’hui, la valorisation boursière de la société frôle les 11 milliards de dollars… Un bilan à faire pâlir les étoiles du Web californien.
Martingale
Steve Kaufer a fondé la société avec quelques associés en novembre 2000, près de Boston. «L’idée, c’était d’offrir aux internautes un outil pour savoir où bien manger et bien dormir, n’importe où dans le monde», raconte Steve Kaufer. Les débuts sont difficiles. TripAdvisor commence par vendre des espaces publicitaires, puis ajoute des liens vers les agences de voyages en ligne. Peu à peu, le site atteint son équilibre financier, mais l’audience reste confidentielle.
Le décollage surviendra avec l’arrivée des commentaires sur le site, en 2002. TripAdvisor trouve là sa martingale. «Les gens veulent savoir la vérité, pas lire la brochure publicitaire», lance Steve Kaufer. Très vite, les commentaires affluent, et les lecteurs aussi. «En quelques mois, ils nous ont apporté 5% de notre trafic», se souvient un ancien de chez Expedia. Impressionné, ce site américain de réservation met la main sur TripAdvisor en 2004, pour 237 millions de dollars.
Sous la houlette de son nouveau propriétaire, la société tire parti des nouveaux outils, comme les réseaux sociaux et les smartphones. Une application Facebook est lancée dès 2007. «En fait, les commentaires de vos amis sont encore plus fiables à vos yeux qu’un avis venant d’un inconnu», note Adam Medros, vice-président de la société, chargé des produits. En ce moment, TripAdvisor est deuxième du classement des applications les plus populaires sur Facebook, avec 35 millions d’utilisateurs par mois. TripAdvisor a réagi avec la même agilité en 2008, à l’arrivée de l’iPhone d’Apple. «Ils ont été très réactifs. Ils sont vraiment affûtés», constate Patrick d’Alsace, le patron du site de réservation de restaurants La Fourchette.
Grâce au mobile et à la géolocalisation, l’entreprise développe des guides pour visiter une capitale, avec le plan du métro, celui de la ville, les bonnes adresses et les meilleures promenades… Avec, à chaque fois, les commentaires associés et une boussole, qui permet de se diriger sans effort à bon port.
Le mobile draine 15% de l’audience de TripAdvisor et permet à la société de conserver la main sur les touristes une fois leurs vacances entamées. Les macarons TripAdvisor ont trouvé leur place sur les vitrines des restaurants du monde entier.
La menace Google
A tel point que la filiale devient trop grosse pour sa maison mère. TripAdvisor est mise en bourse en janvier 2012. Désormais, la société ne peut plus compter que sur elle-même pour affronter la concurrence. Celle des petites plateformes locales, ou encore de Booking, seul site à jouer dans la même cour en nombre d’avis. Et surtout une autre, encore embryonnaire: Google. Le géant californien a racheté Zagat, un site d’avis de proximité, et vient de lancer un comparateur de prix, baptisé Google Hotel Finder. «C’est une menace très sérieuse. Aujourd’hui, nous sommes en bonne position. Mais Google, c’est Google», s’inquiète Steve Kaufer.