Tourisme
Clients à rembourser, réservations au point mort, partenaires qui ne versent pas leur dû: les agences de voyages et autres tour-opérateurs se retrouvent acculés. La Fédération Suisse du Voyage appelle à l’aide. La FRC, qui croule sous les réclamations, demande la création d'un fonds de garantie étatique

De l'hôtelier au libraire en passant par l'ostéopathe, l'horloger ou l'artiste, la liste des lésés ne cesse de s'étoffer depuis que le coronavirus gangrène l'économie mondiale. Peu de corps de métier sont épargnés par une crise dont l'issue est impossible à prévoir.
Tributaires de la reprise des activités des compagnies aériennes, mais surtout de la confiance de leur clientèle, les voyagistes paient une des factures les plus salées. Dans une lettre ouverte rendue publique vendredi, la Fédération Suisse du Voyage (FSV) conjure le Conseil fédéral de prendre rapidement des mesures pour les soutenir.
Nous n'avons aucune perspective.
Sans surprise, Walter Kunz, directeur de la fédération brosse un tableau bien sombre: «Nous n’avons aucune perspective, assène-t-il. Nous sommes la seule branche qui subit trois effets négatifs. D’abord, nous devons rembourser tous les voyages organisés. Ensuite, plus une réservation ne rentre. Mais surtout, nous ne recevons pas l’argent des prestataires concernés, notamment les compagnies aériennes.»
Mise à mal par la numérisation
Les crédits relais, qu'il faudra rembourser, apportent peu d'oxygène à des entreprises dont les marges ont fondu à environ 1%, à en croire la FSV. Poule aux oeufs d'or du vingtième siècle, la profession a fait les frais de l'arrivée d'internet et des vols à bas coûts qui ont métamorphosé le tourisme.
Il en a résulté un important mouvement de concentration dans ce secteur. Leader historique de la branche, le Suisse Kuoni a ainsi vendu ses activités d'agences de voyages à l'Allemand REWE en 2015. Le retentissant dépôt de bilan du voyagiste britannique Thomas Cook en 2019 représente le dernier épisode d'une véritable épuration économique.
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Pour tenter de réduire la pression que la pandémie fait peser sur ses membres, la FSV a donc entamé des discussions avec la Confédération et les organisations de défenses des consommateurs. Sa principale revendication: la prolongation du délai suspensif des poursuites jusqu'à fin septembre. Mais le 16 avril, le Secrétariat d'Etat à l'Economie a fait savoir qu'il n'y aurait plus de mesures exceptionnelles.
Avalanche de plaintes à la FRC
A sa décharge, la requête ne fait pas l'unanimité. «Pour la Fédération Romande des consommateurs, ce n’est pas une solution en soi. Cela n'offre qu'un sursis à la branche», objecte ainsi Marine Stücklin, responsable Droit et Politique à la FRC. L'organisation préconise plutôt la création d'un fonds de garantie étatique: «celui-ci assurerait aux touristes acceptant un avoir que leurs engagements financiers leur seraient rétrocédés en cas de faillite de l’un ou l’autre des prestataires», argue la juriste.
C'est que l'enjeu est de taille. A l’heure actuelle, environ 60% des plaintes et questions que la FRC reçoit ont trait aux voyages: «La plupart des personnes nous contactent pour des problèmes de remboursement ou parce qu’on veut les forcer à accepter un bon», précise Marine Stücklin.
Droit au remboursement
Or, la législation sur les voyages à forfait est claire. Dès qu’au moins deux prestations listées dans la loi sont réservées - par exemple un vol et un hôtel-, le client a le droit de récupérer son argent, en cas d’annulation indépendante de sa volonté. Il en va de même des billets d'avion, même si l’Union européenne envisage de manière temporaire d’autoriser les bons.
La faillite d'une compagnie aérienne. Voilà bien le scénario qui hante les agences de voyages qui perdraient de facto tout espoir de retrouver l'argent avancé à leurs clients.
Des voyagistes dont le sort est désormais entre les mains du parlement. Mais sous la coupole fédérale, ils vont se retrouver en concurrence avec une kyrielle de secteurs touchés par la crise. Parmi eux, les autres acteurs touristiques suisses qui disposent de davantage de relais à Berne.
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«Nous représentons un peu le parent pauvre du tourisme», constate Walter Kunz, un brin désabusé. «Le tourisme entrant suscite beaucoup d'attention, poursuit le directeur de la FSV, mais on a l'impression que nous, nous ne générons pas de valeur ajoutée. Pourtant, nous représentons huit mille emplois en Suisse et générons un chiffre d'affaires de 6 à 7,5 milliards de francs par année.»
Selon toute vraisemblance, la destinée des agences de voyages ne représentera pas non plus le plat de résistance du sommet du tourisme, organisé ce dimanche à Berne. Convoquées par la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga, ces assises visent à clarifier les attentes de la branche. Une branche qui, de l'aveu de tous les spécialistes, risque bien d'être la dernière à se remettre du Covid-19.