L’historien Pierre Vermeren consacre un ouvrage instructif sur les décolonisations françaises (1). Il permet de mieux comprendre un échec retentissant dans une zone qui correspond à 23 fois l’espace métropolitain. Au classement de la Banque mondiale, aucun pays de l’ancien empire colonial français ne figure au sein des pays développés!

«Le choc des décolonisations» de ce professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne décrit en détail 17 ans de guerres d’indépendance, puis revient, pays par pays, sur un après-guerre marqué par l’absence des libertés politiques et individuelles, la destruction du pluripartisme, la confusion des sphères publiques et privées. «Tristes décolonisations», écrit-il.

«Nul par ailleurs que dans les discours, la France n’a semé des ferments démocratiques et une juste représentation des forces sociales et des talents», conclut Pierre Vermeren. Lors du discours de La Baule, en juin 1990, François Mitterrand affirme qu’il n’y a pas de développement sans démocratie. Il est vrai que la Chine n’avait pas encore contredit cette thèse.

Paris défend des systèmes autoritaires d’abord pour lutter contre l’islamisme, puis les révolutions démocratiques, les chefs islamistes. L’une des rares constantes de la politique française aura été de «valider les pouvoirs en place», affirme l’essayiste.

Peu d’investissements

La France a peu investi dans son empire finissant (En dix ans 14% du PIB de 1950) et peu émigré, mais «elle a investi sur la personne des chefs, les élites et les notables», écrit Pierre Vermeeren. «La prétendue assimilation n’a rien assimilé d’autre que les pratiques administratives et des fils de notables». Les Français eux-mêmes ont été mal ou peu informés d’un contrôle. L’historien aurait préféré un engagement nettement plus fort, une politique plus interventionniste.

L’ouvrage nous offre une lecture aux facettes multiples: Une analyse peu optimiste du printemps arabe, un décryptage des aléas de la politique française d’immigration, un portrait des intellectuels français d’origine nord-africaines (Camus, Althusser, Braudel, Bourdieu, BHL, Zemmour, DSK, Attali, Ségolène Royal), un rappel de multiples scandales (Elf, Bokassa) et de l’insupportable étatisation des ressources par les pouvoirs locaux.

La décolonisation est inséparable de la politique migratoire française et de ses nombreux virages. En 1959, le général de Gaulle déclare: «Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Vous croyez que le corps français peut absorber 10 millions de Musulmans, qui demain seront 20 millions?» Les différents gouvernements ne freineront le processus que dans les discours. Jacques Chirac instaurera le regroupement familial. Mitterrand promettra la carte de séjour de dix ans, le droit de vote des étrangers et, en 1984, invitera Jean-Marie Le Pen à la télévision au titre du pluralisme.

Avec 12 millions d’immigrés et leurs enfants (sans parler de la 3ème génération) la population des années 2000 a changé; «ce que la classe politique peine à formuler», selon l’auteur. En attendant, le Front National poursuit sa percée.

Mauvais bilan économique

Le bilan économique est une dénonciation des politiques suivies. Parmi les 25 derniers pays du monde, la «voiture balai mondiale», on compte 9 anciennes colonies françaises. Médiocrité des résultats scolaires, laisser-aller des universités, sous-investissements dans les infrastructures, l’Afrique francophone ne dispose pas des conditions cadres capables d’espérer une croissance à long terme. L’auteur critique avec raison «le mythe du tourisme sauveur» (6,5% du PIB en Tunisie, 11% en Egypte, 8,6% au Maroc, 7% au Sénégal).

L’intérêt s’est porté sur les matières premières stratégiques et l’influence politique et militaire plutôt que l’instauration d’un cadre libéral. L’auteur critique un peu vite les recettes d’austérité budgétaire imposées par le FMI. Le problème est ailleurs. Les bases institutionnelles sont mal posées, la liberté individuelle inexistante et le droit de propriété incertain. Pierre Vermeren place au premier des caractéristiques post-coloniales un mal très français, la centralisation de l’appareil d’État et l’absence d’autonomie des provinces.

Les guerres ont tout ravagé: 6 millions de morts entre 1994 et 2003 aux confins du Rwanda, du Congo et du Burundi. Mais qui se rappelle que la Corée du Sud, après une terrible guerre, était plus pauvre que les pays d’Afrique occidentale dans les années 1950?