Troisième baisse de taux pour relancer la machine américaine
ETATS-UNIS
Le comité monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed) a baissé mardi à 5% son principal taux directeur, le taux interbancaire au jour le jour, et à 4,50% son taux d'escompte. Ceci afin de stimuler la croissance qui est proche de zéro
L'agressivité d'Alan Greenspan vaut un demi-point, et il ne fallait pas en attendre davantage d'un grand argentier si imperturbablement flegmatique qu'il pourrait être britannique. Wall Street et ses cohortes d'analystes piaffaient pourtant, sautant comme des cabris depuis la semaine dernière en réclamant leurs trois quarts bien mérités, pour relancer les marchés et l'économie américaine essoufflée. Bien mérités? Ce n'est sûrement pas l'avis de Greenspan, qui se méfie de l'excitation boursière. L'affaissement de la croissance, par contre, est son gros souci. Il avait promis de se montrer «agressif» pour la relancer.
Un mécanisme de débandade qui commence à être connu
Après deux ans d'augmentation régulière des taux d'intérêt pour tenir en respect l'inflation redoutée – l'inflation fantôme, disent ses critiques – le président de la Réserve fédérale a pris le chemin inverse, pour écarter un risque de récession – récession fantôme, disent d'autres sceptiques. C'est la troisième fois depuis le début de l'année que la commission monétaire de la Fed (Federal Open Market Committee) réduit le loyer de l'argent en diminuant d'un demi-point son taux d'intérêt interbancaire, qui s'établit désormais à 5%.
L'essoufflement de l'économie américaine ne fait pas de doute. Hier encore, le Département du commerce annonçait que le déficit commercial extérieur s'était encore creusé en janvier (voir graphique du jour), montant à 33,3 milliards de dollars: les importations de pétrole ont augmenté, les exportations vers l'Europe et l'Asie sont en recul, en raison de la cherté du dollar. Ce mauvais chiffre s'ajoute au fléchissement de la production industrielle, aux licenciements en masse (mais pas encore très douloureux grâce aux emplois que continue de produire la machine), et à la soudaine perte de confiance des consommateurs, qui est sans doute la cause et le signe de ce marasme.
Le mécanisme de cette débandade commence à être connu. La débâcle des valeurs technologiques surcotées dans la grosse bulle du Nasdaq a provoqué une descente boursière dont la semaine dernière fut le pire moment. Les Américains (un sur deux a un portefeuille d'actions) ont réagi face à cette perte de richesse réelle ou virtuelle par une diminution brutale de leur consommation. Tous ceux qui croyaient avoir amassé une pelote boursière pour leurs vieux jours se demandent maintenant s'ils ne vont pas devoir remiser leurs projets de retraite anticipée. De nombreuses entreprises, devant des stocks excessifs, ont réduit leur production, licencié, retenu ou différé des investissements. La croissance, qui était de 5% l'an passé, n'est aujourd'hui pas loin de zéro.
Le problème des Etats-Unis, c'est qu'ils n'ont jamais eu à affronter de crise semblable: un si soudain retournement, dont la réalité n'est pas très claire, puisque le marché de travail est encore très sain et que le chômage n'augmente pas. Les analystes veulent croire que la croissance reprendra à la fin de l'année, mais ils n'en sont pas si sûrs. D'autant que les docteurs Diafoirus de la Maison-Blanche proposent leurs purges et leurs lavements dans un beau désordre.
George Bush veut faire passer devant le Sénat son plan de baisse massive des impôts (1600 milliards de dollars en dix ans), qui rencontre beaucoup de doutes et de résistances, et désormais un contre-projet avancé par Robert Rubin; le prestigieux secrétaire au Trésor de Bill Clinton propose une réduction moins énorme, mieux ciblée vers les classes moyennes et dont les effets devraient être plus rapides et donc plus utiles.
Le président, qui s'agite beaucoup pour être entendu, s'est répandu en propos contradictoires du plus mauvais effet: un jour il dit que l'économie est malade et que le «tax cut» va la guérir; le lendemain il affirme sa confiance dans la croissance, comme pour corriger la déclaration de la veille; le jour suivant, il fait annoncer une crise énergétique majeure, et on voit bien qu'il s'agit de faire passer des décisions sur l'allégement des précautions environnementales dans la construction des centrales, et sur l'extension de la prospection pétrolière dans les zones naturelles protégées. Les Californiens viennent à son secours en allumant avec un bel ensemble tous les conditionneurs d'air au premier rayon chaud de soleil, et le courant électrique manque à nouveau! L'Amérique du gaspillage doit encore apprendre la discipline…