La troisième fortune de Russie s’installe à Lausanne
Impôt
En se domiciliant en Suisse, le milliardaire russe Alicher Ousmanov prive de centaines de millions de dollars le budget d’un pays dont le déficit explose

L’oligarque et multimilliardaire russe Alicher Ousmanov paie désormais ses impôts en Suisse, s’indigne l’opposant Alexeï Navalny dans son dernier blog vidéo, tandis que la crise plonge des millions de Russes sous le seuil de pauvreté. Enrichi grâce à l’acquisition de mines et d’usines métallurgiques, cet homme de 63 ans passerait désormais le plus clair de son temps à Lausanne. Alicher Ousmanov y dirige la Fédération internationale d’escrime (dont il a été un champion) et siège comme membre de la commission du CIO pour le développement de la chaîne télévisée olympique. Le milliardaire est réputé être l’un des principaux vecteurs de l’influence russe sur le CIO.
«Il se concentre sur ses activités de bienfaisance, philanthropiques et sportives», note son service de presse, précisant que «pour ces raisons et pour des raisons de santé, il a passé en 2015 moins de 183 jours en Russie, perdant ainsi le statut de résident russe». Prié par Le Temps de préciser où le milliardaire verse ses impôts, le service de presse de sa société USM Holdings n’a pas été en mesure de répondre avant le bouclage du quotidien. Contacté par Le Temps, le Département fédéral des finances a invoqué le secret fiscal pour ne pas répondre.
La fortune d’Alicher Ousmanov (12,5 milliards de dollars selon le journal Forbes) repose aujourd’hui sur la métallurgie, mais aussi sur les télécoms et internet (participations dans Facebook, Groupon, Zynga, Alibaba, Uber, Spotify…) USM holdings affirme qu’au cours «des dernières années», Alicher Ousmanov a versé, «en tant que personne physique», 350 millions de dollars au trésor russe, tandis que les sociétés faisant partie de sa holding ont payé 100 milliards de roubles en sus (1,6 milliard de dollars) rien que pour l’année 2015.
Réputé proche du président russe Vladimir Poutine, Il doit sa qualité d’oligarque à son inclination à convertir le pouvoir financier en services politiques rendus au Kremlin. Son empire médiatique, comprend une dizaine de chaînes hertziennes et surtout le groupe de presse Kommersant, dont la prise de contrôle en 2006 a été accompagnée d’un changement éditorial caractéristique: la critique du président Poutine en a disparu. Deux femmes créent un lien supplémentaire entre les deux hommes. L’épouse du milliardaire est l’ancienne entraîneuse d’Alina Kabaïeva, championne olympique de gymnastique et petite amie supposée du président russe.
Les départs d’oligarques se multiplient
Alicher Ousmanov n’est pas le seul à avoir choisi la Suisse pour sa fiscalité. Il a été précédé par Guennadi Timtchenko (11,4 milliards de dollars), très vieil ami du président Poutine, Vyatcheslav Kantor (2,5 milliards de dollars), Vassili Anissimov (1,2 milliard de dollars), et Iouri Chefler (1,9 milliard de dollars). D’autres ont choisi la Grande-Bretagne, Monaco, Israël ou les Etats-Unis. Ils seraient au total au moins 17 milliardaires russes à avoir perdu leur statut de résident fiscal en Russie.
Peu après sa troisième réélection en 2012, Vladimir Poutine avait fait du «patriotisme fiscal» l’un de ses chevaux de bataille. Une volée de lois avait alors été adoptée, forçant les Russes à rapatrier leurs capitaux et à déclarer scrupuleusement leurs avoirs à l’étranger. Pourtant, le Kremlin n’a pas pour l’instant réagi à cette vague de départ, qui implique des fortunes parmi les plus élevées du pays.
Note: Dans une première version, cet article expliquait qu'Alicher Ousmanov s'était enrichi grâce à l’acquisition de mines et d’usines métallurgiques privatisées dans des conditions douteuses. Le qualificatif de «conditions douteuses» a été retiré à la demande d'Alicher Ousmanov, de même que «privatisées au cours des années 90»