Innovation
Des entrepreneurs ont ouvert un centre de la blockchain à la Bahnhofstrasse, où les start-up côtoient industriels, investisseurs et chercheurs. L’idée: renforcer un écosystème jugé important pour la ville

La Bahnhofstrasse, rue la plus emblématique de Zurich, est déjà bien réveillée, mais à l’intérieur de Trust Square, logé au numéro 3, le silence règne encore. Rares sont les startupers qui arpentent les couloirs au décor et ameublement minimalistes du nouveau centre de la blockchain ou qui sont installés à leur bureau ce vendredi matin. Même la cafétéria est désertée, alors qu’il est environ 8h30. La réceptionniste habituelle n’a pas encore pris ses quartiers face à l’étrange sculpture informatique qui orne l’entrée des bureaux.
Ce nouveau centre dédié à la blockchain a ouvert début avril et, malgré les apparences à l’aurore, il tourne déjà presque à pleine capacité. Les start-up se sont précipitées, toutes spécialisées dans cette technologie qui fonctionne comme un registre numérique et inviolable de transactions, d’informations ou d’échanges, rendue célèbre parce qu’elle permet le fonctionnement de la cryptomonnaie bitcoin.
Ancien et nouveau monde
Entre le lac et la Paradeplatz, dans les anciens locaux de la banque liechtensteinoise VP Bank et d’un cabinet d’avocats, en face du quartier général de la Banque nationale suisse, Trust Square représente «un peu le nouveau monde au cœur de l’ancien monde», sourit Daniel Gasteiger, l’un des cinq fondateurs du hub. Installé dans l’ancienne salle du conseil d’administration de la banque, dernière trace de son ancien usage, l’entrepreneur admet que ce n’était pas prévu, mais il se trouve que c’est «un beau hasard», ajoute-t-il.
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Celui qui est aussi directeur général de Procivis, une start-up spécialisée dans l’identité numérique, dit avoir discuté depuis un certain temps avec les autorités zurichoises de l’idée d’ouvrir un centre dédié à la blockchain. Entamées en 2016 déjà, ces négociations ont débouché sur le projet d’une installation à Dübendorf, dans la périphérie de la ville, avec le Swiss Fintech Innovation Lab de l’Université de Zurich, dirigé par Thomas Puschmann. Mais les travaux nécessaires ayant pris du retard, lorsque plusieurs étages du bâtiment de la Bahnhofstrasse se sont libérés, les acteurs ont sauté sur l’occasion pour s’y installer temporairement.
Place pour les universitaires
L’écosystème se déplacera donc plus tard vers Dübendorf. Mais, pour l’heure, il occupe 2300 mètres carrés, sur trois étages, et les 200 places de travail sont déjà presque toutes louées, soit à la quarantaine d’acteurs présents, dont des start-up, des investisseurs et le consortium B3i (insurance, industry, innovation) qui réunit plusieurs compagnies d’assurances soucieuses d’innover aussi ensemble dans leur secteur. A cela s’ajoute une dizaine de places réservées à des universités partenaires, comme l’EPFZ, l’Uni de Zurich et celle de Bâle et l’école de sciences appliquées de Rapperswil.
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Les start-up peuvent aussi y trouver de l’expertise, si elles veulent par exemple faire une ICO, sorte de levée de fonds, à mi-chemin entre le crowdfunding et l’entrée en bourse. Un phénomène qui s’est accéléré ces dernières années et qui touche largement la Suisse. L’an dernier, sur les 15 plus importantes ICO dans le monde, quatre venaient de sociétés implantées en Suisse.
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Aussi des leaders du secteur
Parmi les start-up qui occupent le nouveau centre se trouvent principalement des suisses, mais pas seulement. Quelques sociétés étrangères y ont aussi trouvé un pied-à-terre intéressant pour leurs activités. C’est le cas par exemple du chinois Bitmain, l’un des plus importants acteurs du secteur et spécialiste du «minage», cette technique qui permet de créer des cryptomonnaies. De nombreux secteurs sont représentés, «le focus n’est pas explicitement mis sur la finance, mais sur un spectre bien plus large, qui inclut aussi des entités à but non lucratif», poursuit Daniel Gasteiger, qui est aussi l’ancien chef de bureau d’Axel Weber, le président d’UBS. Dans les faits, environ la moitié des start-up présentes sont néanmoins actives dans la finance.
Pour être acceptée, une société doit évidemment se concentrer sur la blockchain, mais elle doit «aussi montrer qu’elle est plus qu’une société boîte aux lettres. Nous vérifions qu’elles ont des activités réelles et aussi, plus généralement, quel est leur modèle d’affaires», précise Daniel Gasteiger. L’objectif, pour lui et ses acolytes, n’est pas seulement de réunir des start-up, mais aussi de permettre l’organisation d’événements pour renforcer l’«écosystème» de la blockchain suisse.
Visites de l’étranger
Le phénomène intrigue. Chaque semaine ou presque, les fondateurs disent recevoir une délégation de l’étranger, de Chine le plus souvent, qui vient étudier ce nouveau concept. «Nous voulons garder les portes ouvertes, collaborer avec toutes les entités, banques, entreprises ou institutions. C’est important pour Zurich de compter un centre comme le nôtre», assure-t-il. Point sur lequel les autorités sont d’accord. Lors de l’inauguration, Carmen Walker Späh, la responsable du Département des affaires économiques du canton de Zurich, a ainsi déclaré: «Trust Square renforce encore davantage la position de Zurich comme centre pour l’innovation numérique.»
Le phénomène de la blockchain n’a pas seulement contaminé Zurich. Zoug compte également son propre hub, appelé Crypto Valley Labs, ouvert mi-février et qui dispose d’un accord avec Trust Square pour échanger des places de travail. A Genève, également, un laboratoire de la blockchain a été ouvert en janvier dernier. Nommé Blockchain Lab by Fusion, il est abrité dans l’incubateur Fusion – qui travaillait déjà avec plusieurs start-up naissantes actives dans la blockchain – et a pour but d’offrir des cours et une infrastructure aux entrepreneurs pour les aider à développer leurs projets dans ce domaine.