Uber lance à Lausanne sa variante qui fâche le plus

Transport Pour la première fois en Suisse romande, la start-up recrute des conducteurs amateurs

Cette stratégie d’implantation diffère des modèles mis en place à Zurich ou à Genève

Uber brûle les étapes. La start-up californienne a lancé jeudi à Lausanne son service le plus controversé: UberPop. Directement, sans emprunter ses portes d’entrée habituelles faisant appel à des conducteurs professionnels (UberBlack, UberX), comme l’avait fait l’entreprise en démarrage en s’implantant d’abord à Zurich il y a un an, puis à Genève l’automne dernier.

UberPop met en relation des passagers et des conducteurs amateurs. Il est pour l’heure en disponibilité limitée à Lausanne, faute d’automobilistes en nombre suffisant, adeptes de «l’auto-stop tarifé» pour amortir leur véhicule. Les chauffeurs de taxi peuvent aussi s’improviser UberPop. Mais à des fins non professionnelles. Alors que les amateurs pourraient être tentés de faire de la conduite une activité lucrative, même à temps partiel. «Nous allons effectuer des contrôles, sur la base des chiffres réalisés. Toute infraction sera sanctionnée», assure Steve Salom, directeur général d’Uber Genève (responsable pour la Suisse romande, depuis jeudi). Voilà pour la théorie.

Le dispositif lausannois se veut identique à ceux déployés à Zurich depuis novembre dernier, ou décembre à Bâle. Mais pas à Genève (seule ville de Suisse avec Zoug à disposer d’une réglementation cantonale sur les taxis), où les procédures et autres plaintes pénales appellent Uber à la précaution.

Alors pourquoi passer directement à la vitesse supérieure à Lausanne? «Vu l’important taux de pénétration de la voiture individuelle dans cette ville, lancer d’abord UberPop faisait plus de sens qu’une offre standard», résume Steve Salom. Mais à en croire certains observateurs, la législation lausannoise (système communal, voire intercommunal) ne serait pas étrangère à ce choix. Elle oblige les taxis de catégorie «A» à s’affilier à une centrale d’appel unique. En lançant UberX à Lausanne, la start-up aurait couru le risque de se voir assimilée à une centrale, contrevenant ainsi au monopole institué par les autorités.

Conséquence: à Lausanne, tout automobiliste avec 3 ans de permis, sans casier judiciaire, mais un véhicule conforme et âgé de moins de 10 ans, est un candidat pour Uber. La plateforme technologique, elle, se charge de contracter les assurances supplémentaires liées au transport de tiers. Ceci, moyennant 20% de commission sur les courses – comme pour le système UberX –, jusqu’à moitié moins chères qu’avec un taxi traditionnel. Seul hic: le chauffeur UberPop, même s’il est censé être un peu plus décontracté qu’un conducteur professionnel, ne connaît pas forcément Lausanne comme sa poche. Et il n’a pas les mêmes privilèges qu’un véhicule à bonbonne: utilisation des voies de bus, maraudage, stationnement réservé, etc.

«Taxis sauvages» pour les uns, exemple d’économie de partage pour d’autres, Uber revendique une croissance «phénoménale», sans toutefois livrer aucun chiffre précis sur ses activités. La start-up, qui compte parmi ses bailleurs de fonds des multinationales comme Google ou Goldman Sachs, est aujourd’hui présente dans 270 villes et emploie plus de 2000 salariés. Elle a même promis il y a une semaine de créer 50 000 postes de travail supplémentaires en Europe.

Suite à une récente nouvelle levée de fonds, la société est à présent valorisée à plus de 41 milliards de dollars, soit à un niveau très proche des 50 milliards de Facebook début 2011. Ce qui, aux yeux de nombreux investisseurs, ferait d’Uber une bonne candidate à une potentielle entrée en bourse.

«Le modèle Uber est fascinant, c’est une source d’inspiration car il permet de dépasser les intermédiaires traditionnels», souligne Cyril Bouquet, professeur de stratégie à l’IMD de Lausanne. Patrick Favre, président de la faîtière Taxisuisse, abonde: «L’innovation technologique d’Uber est merveilleuse, le marché en a besoin. C’est un faux procès que de leur reprocher de recruter dans nos rangs.» Toutefois, si le responsable n’est pas totalement hostile aux changements venus d’outre-Atlantique, il se dit opposé à la déclinaison UberPop, version à très bas coûts faisant appel à des quidams pour transporter la population et attaquée de toutes parts en Europe (France, Allemagne, Pays-Bas, Norvège, Espagne, etc.) et dans le monde (Inde, Thaïlande, etc.).

Pour Patrick Favre, UberPop n’est rien d’autre qu’une caricature de covoiturage permettant de s’affranchir de la réglementation. «La loi ne protège pas les taxis, mais règle au contraire la profession. Pour que tous les acteurs du transport de personnes soient logés à la même enseigne, nous militons pour un régime fédéral uniformisé. Uber n’est pas l’ennemi. Le problème, c’est le système législatif éclaté actuellement en vigueur en Suisse», reprend Patrick Favre, avant de préciser que si Bâle réfléchit à porter plainte contre l’arrivée d’UberPop, Zurich préfère pour l’heure plancher sur une loi cantonale (une première) pour régler notamment la question de la start-up californienne.

Et Patrick Favre d’ajouter: «Il y a trop de taxis en Suisse [ndlr: environ 5000 véhicules]. Augmenter l’offre ne ferait que diviser la demande. La branche est malade. Le salaire moyen est de 3500 francs par mois. L’activité n’est pas rentable. Et le dumping exercé par Uber n’arrange rien.»

Réponse de Cyril Bouquet: «Le milieu des taxis souffre d’inefficacité. L’application d’Uber peut révolutionner le secteur, en stimulant les volumes.» Seul bémol: les prix Uber sont modulables, en fonction de l’offre et de la demande. A New York, les tarifs des courses se sont envolés ces derniers jours durant la tempête de neige historique. Idem à Sydney, lors de la prise d’otages au Café Lindt il y a plus d’un mois. Et à Nouvel An, les usagers d’Uber ont payé le prix fort dans le monde entier.

«Il y a trop de taxis en Suisse. Augmenter l’offre ne ferait que diviser la demande. La branche est malade»