Tous les scénarios évoqués depuis vendredi, toutes les hypothèses avancées pour sortir de l’impasse tendent à le démontrer: sur le dossier UBS, la Suisse est revenue, peu ou prou, à son point de départ. Le jugement du Tribunal administratif rendu public vendredi replace les autorités devant les mêmes alternatives et les mêmes dilemmes, ou presque, auxquels elles étaient confrontées l’été dernier avant l’accord signé en août avec Washington, voire il y a exactement un an, quand se rapprochait l’ultimatum américain du 18 février 2009.
Les conséquences de ce verdict sur la mise en œuvre de l’accord du 19 août doivent encore être déterminées avec précision. Le Conseil fédéral devra les détailler mercredi. Mais ce qui frappe d’ores et déjà, c’est la persistance des mêmes interrogations, comme si le dossier n’avait pas avancé d’un pouce depuis l’an dernier: faut-il sauver UBS d’une procédure aux Etats-Unis destinée à identifier les fraudeurs et susceptible de la mettre à genoux, et si oui peut-on y parvenir dans le respect des lois en vigueur en Suisse?
Piège juridique
Aujourd’hui comme l’an dernier, les moyens qui s’offrent au gouvernement pour espérer résoudre cette équation sont terriblement limités, et peut-être même inexistants. Dans ce contexte, il est symptomatique de voir ressurgir l’idée, débattue l’an dernier jusqu’au sein du Conseil fédéral lui-même, de laisser UBS assumer ses propres erreurs et remettre d’elle-même aux Américains les informations demandées, quitte à ce que ses dirigeants soient poursuivis devant les tribunaux suisses pour violation du secret bancaire.
Aucune des autres possibilités envisagées pour assurer malgré tout le transfert des données aux Etats-Unis n’est juridiquement irréprochable. Le recours aux pouvoirs que les articles 184 et 185 de la Constitution confèrent au Conseil fédéral pour sauvegarder les intérêts supérieurs du pays relèverait bien davantage du passage en force et de la raison d’Etat que du jeu normal des institutions. La crédibilité du Conseil fédéral, d’abord, en prendrait encore un sérieux coup: il avait formellement invoqué ces mêmes dispositions l’été dernier, mais dans le sens exactement inverse, pour avertir les Etats-Unis qu’il interdirait à UBS de transmettre quelque information que ce soit si la justice américaine lui en donnait l’injonction. Ira-t-il jusqu’à y recourir aujourd’hui, alors que les juristes paraissent unanimes à considérer que ces dispositions ne permettent pas au gouvernement de déroger aux lois en vigueur et encore moins de passer outre à un jugement, mais tout au plus de pallier l’absence de toute loi dans des circonstances exceptionnelles?
L’ardoise du secret bancaire
Quant à la solution qui consisterait à soumettre l’accord du 19 août au parlement, sous une forme ou une autre, elle est loin, elle aussi, d’être pleinement satisfaisante. Elle entérinerait l’application de nouvelles règles du jeu en matière de secret bancaire sans prévoir aucune limite à leur portée rétroactive. Elle se heurtera au surplus aux exigences du calendrier arrêté dans l’accord du 19 août. Celui-ci prévoit que les informations concernant 4450 comptes UBS non déclarés sont transmises dans le délai d’un an, soit jusqu’en août 2010. Très court, trop pour boucler un arrêté parlementaire dans les formes, la clause d’urgence étant en principe inapplicable en matière de traités internationaux.
La protection étendue et sophistiquée du secret bancaire que la Suisse a mis des années à perfectionner a pratiquement supprimé toute marge de manœuvre pour trouver une issue politique et diplomatique au dossier UBS. Le revirement opéré par le Conseil fédéral le 13 mars 2009 est à cet égard intervenu trop tard: à compter de cette date, il fallait un an et demi ou deux dans le meilleur des cas pour qu’entrent en vigueur les premiers accords renégociés conformément aux standards de l’OCDE sur l’échange d’informations fiscales.
Même si le Conseil fédéral a pu signer une nouvelle convention de double imposition avec les Etats-Unis le 23 septembre, le dossier UBS est donc resté comme la scorie d’une époque dont le Conseil fédéral a pris officiellement congé le 13 mars. Mais il lui reste à en liquider l’ardoise, et le gouvernement se retrouve piégé par la rigidité du verrou qu’il a contribué à installer sur le secret bancaire.