Face à la pandémie de Covid-19, l’Union internationale des transports routiers (IRU), basée à Genève et garante de la Convention TIR (transport international routier) des Nations unies, tire la sonnette d’alarme. Elle vient d’ouvrir le Covid-19 Info Hub pour renseigner sur la situation extrêmement volatile aux frontières, dont certaines sont fermées à cause du coronavirus. Secrétaire général de l’IRU, l’Italo-Canadien Umberto de Pretto fait état de ses inquiétudes sur le front du transport routier.

Le Temps: Quelles sont vos craintes aujourd’hui en matière de transport routier?

Umberto de Pretto: Les gouvernements mettent en place de façon unilatérale leurs propres règles. Dans une ère globalisée comme la nôtre, cela n’a pas de sens. Les gouvernements devraient se mettre ensemble autour d’une table et négocier des solutions acceptables pour que le système de contrôle douanier fonctionne, malgré le Covid-19. Sans cela, nous courons au désastre, car ces actes unilatéraux engendreront d’énormes pertes économiques. Cette situation nous contraint d’informer nos membres et le public de ce qui les attend aux frontières. Sans quoi l’approvisionnement en nourriture et en médicaments, et d’autres denrées essentielles, pourrait être fortement entravé.

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Quel est le problème le plus inquiétant?

Les marchandises périssables. Si elles sont bloquées longtemps à la frontière, elles seront perdues. En vertu de la Convention TIR des Nations unies, les marchandises sont inspectées au départ et à la destination finale, et c’est tout. Mais aujourd’hui, la bureaucratie engendrée par le Covid-19 ralentit substantiellement les procédures de passage des frontières. En termes d’approvisionnement, la situation est déjà sérieuse. Mais dans quelques mois, nous risquons d’atteindre un seuil critique en termes de production et de son acheminement vers les marchés. Et là, je parle de l’Europe et de l’Eurasie. Pour l’Afrique, c’est encore beaucoup plus inquiétant. Le continent compte déjà plus de 110 millions de gens touchés par la faim. Les victimes risquent d’être plus nombreuses que celles du coronavirus.

En quoi le Covid-19 est-il un obstacle au trafic fluide des camions TIR?

En fonction de leur passeport ou nationalité, les routiers sont mis en quarantaine. Cela n’a pas de sens. Selon la Convention TIR, les douaniers ne devraient même pas arrêter les camions. Ils disposent déjà de toutes les informations envoyées par le biais de déclarations électroniques. Aucun contact physique avec les chauffeurs n’est nécessaire. Les routiers sont pris en otage. Cela a des conséquences. Des industriels sont sur le point de faire faillite, car ils ne peuvent pas commercialiser leurs produits.

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Quelles sont les situations les plus extrêmes?

Dans les pays qui ont fermé totalement leurs frontières. C’est le cas de l’Afghanistan, du Turkménistan, du Pakistan et de l’Iran. Il y a d’autres pays où les frontières sont partiellement fermées. C’est le cas en Turquie, qui a fermé ses frontières aux routiers en provenance du Tadjikistan, du Kirghizistan, de la Chine ou de l’Ouzbékistan.

Qu’en est-il en Europe?

Avec Schengen, on a une Europe sans frontières. Mais avec le Covid-19, les pays européens rétablissent les frontières sans la moindre coordination. Les camions commencent à former de longues files d’attente aux frontières. Il y a quelques jours, les ministres européens des Transports se sont réunis à Bruxelles. Ils ont décidé d’instaurer des lignes vertes pour faciliter le passage. Mais il faut les mettre en œuvre. Si les camions sont arrêtés, l’économie s’arrête. C’est frustrant, car les douanes ont toutes les informations nécessaires. Nous avons dépensé des centaines de millions pour mettre en place ce système de pré-déclarations électroniques. Mais celles-ci ne sont malheureusement pas utilisées. Entre la Turquie et la Bulgarie, les autorités avancent que cela ne prend que trois minutes pour traverser. Or l’attente est plutôt de trois jours.

Quelle est la diminution du trafic routier de marchandises?

Nous la chiffrons à environ 20% pour toutes les marchandises. Vous pouvez imaginer l’impact qu’aura la pandémie à terme. Nous avons fait une estimation très conservatrice qui chiffre les pertes économiques futures à quelque 800 milliards de dollars. Dans le scénario catastrophe, cela pourrait monter à 2000 milliards. Nous comptons sur les Nations unies pour jouer un rôle majeur dans cette crise. L’OMS fait un très bon travail en disant la nécessité de maintenir les frontières ouvertes. Il importera en tout cas de s’assurer que toutes les petites compagnies de transport de marchandises puissent survivre. Car demain, nous aurons fortement besoin de ces routiers. Pour vous donner un exemple du caractère essentiel des transports routiers: pour fabriquer une voiture en Suède, il faut 10 000 sous-traitants. Pour la tasse de café que vous buvez à Genève, il faut 29 sociétés installées dans 18 pays différents. Tout le processus industriel dépend des camions.