Depuis des lustres, vous entendez les mêmes rengaines. Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, ou aussi, plus vous diversifiez moins vous prenez de risques. Ou encore, investir via des fonds de placement vous permet d’être protégé en cas d’accident.

Sommes-nous juste des has been ou plus expérimentés? Force est de constater que l’être humain souffre d’amnésie chronique à grande échelle car ce qu’il n’a pas vécu personnellement ne grave pas sa mémoire.

On peut s’attendre à ce que des professionnels de la finance, qui ont des pratiques diligentes, qui ont observé les marchés depuis plusieurs décennies et subi diverses crises financières, ne se seront pas fait prendre dans ce cyclone. Sinon leur processus de conformité est à revoir de toute urgence.

Tant d’éléments auraient dû vous faire renoncer à acheter la cryptomonnaie FTT, ou à utiliser la plateforme d’échange FTX enregistrée, une fois encore, aux accommodantes îles des Bahamas.

Distinguons les institutionnels issus de la finance de ceux qui proviennent du monde de la crypto, souvent informaticiens ou data scientists qui, pour la vaste majorité, ne possèdent pas encore la culture régissant la finance, les strates de réglementations et les devoirs qui lui incombent, notamment dans la ségrégation des activités. Il sera instructif de voir les milliards investis et perdus par ces derniers.

Manger du poisson ne suffit pas

L’homme a beaucoup de difficulté à apprendre de ses erreurs, alors celles qui sont arrivées à d’autres et par le passé! Est-ce un problème de mémoire? Est-ce le fait d’être particulièrement optimiste ou de se croire au-dessus du lot? Ou la recherche de l’adrénaline et de la dopamine? Un mélange de tout ça peut-être. La cible privilégiée des maîtres d’ouvrage qui ont le plus succombé à la promesse d’une fortune amassée rapidement, les hommes entre 18 et 35 ans.

Contexte d’incitations

Depuis 25 ans, les GAFAM et leurs créateurs sont devenus les plus grandes fortunes. Elles se sont construites sur l’absence de réglementations, sur des vides juridiques et sur de l’optimisation fiscale. Devenues monumentales, les gouvernements ont hésité avant de leur imposer des sanctions pécuniaires, qui ne les gênent aucunement, puisqu'il est moins cher de payer d’énormes amendes que de se conformer aux lois nationales et internationales.

Profils et éléments qui auraient dû alerter

Jeff Bezos a travaillé six ans dans la finance à Wall Street, dont quatre ans au sein de D.E. Shaw, un des plus grands hedge funds au monde et, même si son ascension a été rapide, il a commencé les activités d’Amazon chez lui, se focalisant d’abord sur les livres, avant de créer son omniprésence. Elon Musk, quant à lui est, comme Sam Bankman-Fried (SBF), diplômé en physique et programmeur autodidacte ayant vendu son premier jeu informatique à 12 ans puis, il est passé par la création de maintes entreprises avant de devenir milliardaire.

Notre protagoniste, SBF, après son passage au MIT, a passé trois ans seulement en tant que trader au sein de Jane Street, maison spécialisée dans la finance quantitative, basée sur des modèles mathématiques. Son excellence en sciences lui a été utile mais cela ne fait pas de lui un expert en finance, aussi brillant soit-il.

Un déjà-vu déjà vécu

Sans réelle expérience et track record, SFB fonde son hedge fund, Alameda Research, spécialisé en trading quantitatif spécialisé dans les cryptomonnaies, dans l’arbitrage, dans le trading de volatilité et surtout dans la tenue de marché (market-maker). Ce dernier point sera crucial dans cette débâcle puisque son rôle est notamment d’assurer la liquidité des titres. En parallèle, il lance aussi sa plateforme d’échange FTX avec sa monnaie numérique FTT, et sa société devient l’un des plus grands fabricants de jetons numériques au monde.

En novembre, un concurrent de FTX annonce sur Twitter qu’il vend l’intégralité de ses jetons, précipitant les autres investisseurs à vendre, ce qui provoque la chute de la plateforme qui n’a (évidemment) pas la solvabilité suffisante pour faire face à la demande de rachats. Dans la foulée FTX, Alameda et env. 130 sociétés affiliées déposent le bilan. Une affaire à la "Lehmano-Madoff" est finalement dévoilée et la chute vertigineuse.

Petits arrangements entre amis

Engager ses amis ou son entourage n’est pas un souci en soi, plus particulièrement lorsqu’ils ont des parcours solides. Engager tout son entourage sans expérience est une erreur, surtout lorsqu’on en incite d’autres à acquérir des produits sur un marché financier complexe.

En été 2021, SBF promeut deux de ses amis à la tête d’Alameda Research et, bien que cela soit explicitement interdit, la plateforme FTX «prête» plus de la moitié des fonds de ses clients à Alameda Research. Ces dirigeants ont avoué en avoir eu connaissance mais ne l’ont pas signalé bien qu’impératif.

Due diligence de la gestion d’actifs

La due diligence est d’assurer la conformité des activités d’une entreprise par rapport à la loi. Elle examine des critères réglementaires, quantitatifs et qualitatifs. Les gérants d’actifs rencontrent ceux au sein desquels ils déploient les actifs confiés par leurs clients. S’ils sont très bons, ils analysent aussi les personnalités des dirigeants des entreprises qu’ils jaugent. Par conséquent, ils ont des compétences multidisciplinaires et développent d’excellentes notions de PNL (programmation neurolinguistique). Un individu lambda, qui mise toutes ses économies derrière son écran, depuis son salon, n’a malheureusement pas la possibilité de faire le même exercice.

Le sauveur

John J. Ray III est un avocat américain et un spécialiste des faillites. Il a été nommé à la tête de FTX sitôt la banqueroute déclarée. Il a acquis sa renommée lors de la débâcle d’Enron et a supervisé sa liquidation pendant des années. Son rôle consiste à travailler avec les autorités et à faire son possible pour sécuriser tous les actifs restants, où qu’ils se trouvent. Dans le dossier déposé auprès du tribunal des faillites des Etats-Unis, il a déclaré qu’en plus de 40 ans d’expérience de liquidations, il n’avait jamais constaté une telle défaillance des contrôles d’entreprise et une telle absence d’informations financières fiables, comme dans le cas de FTX, ajoutant que cette société était gérée par «un très petit groupe d’individus inexpérimentés, peu sophistiqués et potentiellement compromis».

Fintech et régulation

Ce ixième drame incite à ce que ce secteur récent de l’industrie financière soit mieux encadré afin d’avoir de plus fortes barrières à l’entrée pour éviter à n’importe qui de faire n’importe quoi. Même si, en définitive, dans le cas FTX, le problème n’est pas tant que les cryptomonnaies soient régulées ou pas, il réside dans le manque d’éthique professionnelle et le-s profil-s du-es principal-aux instigateur-s.

Si l’univers des Fintech vous passionne, commencez par vérifier le parcours des dirigeants des entreprises que vous considérez.

Un (mauvais) génie qui ressemble à Gargamel

Suivant les tendances, il s’annonce végane, se montre au volant d’une voiture hybride (tout en omettant de dire qu’il a aussi acheté un jet privé), vit en colocation aux Bahamas, s’expose avec des célébrités qu’il aura vite fait de convaincre de devenir ses porte-paroles, dit être un fervent du partage de la richesse que l’on possède (en principe un philanthrope est discret dans ses actions), s’affiche au Capitole comme celui qui veut plus de régulations dans le secteur des cryptomonnaies, etc. Depuis, il a admis que c’était juste pour faire genre et être suivi. Manifestement, nous avons à faire à un sociopathe. Narcissique, immature, arrogant, à la recherche du risque, insensible aux autres, manipulateur, et incapable de se conformer aux normes et à la loi.

Sachant l’être humain influençable, et qu’il adore montrer aux autres qu’il fait partie d’un groupe exclusif, SBF ne se prive pas. Les investisseurs, détenteurs de FTT liés à la plateforme d’échange FTX, étaient considérés comme des VIP et ont pu exécuter des transactions sur la bourse de l’entreprise à prix réduit, et pouvaient également utiliser les jetons comme collatéral. Sur le site web, SBF a qualifié sa cryptomonnaie «d’épine dorsale de l’écosystème FTX». Pour annoncer sa débâcle, estimée en milliards de dollars, SBF écrira simplement sur Twitter «J’ai merdé».

Gargamel

La personnalité de Gargamel est décrite comme suit: vaniteux, impatient, menteur, manipulateur, machiavélique, désireux de pouvoir et traître. Il peut parfois feindre l’amitié pour son gain personnel. Ajoutons que l'on dit que l’habit ne fait pas le moine et qu’une voix irritable démotive une écoute attentive. Ça ne vous rappelle pas quelqu’un?

Voilà pourquoi, toute personne ayant connaissance de clés de lecture de PNL n’aurait pas misé un centime sur ce jeune homme.

Fils de deux professeurs de droit de Stanford

Compte tenu du parcours de ses parents, cette histoire est digne d’une tragédie grecque. Tous deux professeurs de droit à l’Université de Stanford – l’un à fait sa thèse à Harvard et l’autre à Yale – comment se fait-il que leur fils en soit arrivé là? Une chose est certaine: il aura l’élite du droit américain pour le défendre.

Larry was right!

En Suisse, l’encadrement concernant les publicités sur les produits financiers s’est renforcé après 2008. C’est une saine prévention établie pour limiter des drames. Cela complique la vie des publicitaires mais cela offre l’avantage de ne pas être harcelé par des annonces qui ne peuvent pas être intégralement explicites, voire mensongères, ou user d’un humour irrésistible. Le désavantage c’est que l’on pousse les FOMO (fear of missing out) à se fournir hors de nos frontières, et internet contribue à cette facilitation.

Aux Etats-Unis, les publicités agressives et absolument «géniales» de FTX ont concouru à l’essor, si rapide, de cette supercherie. Rendons donc les honneurs à tous les Larry de la planète, dont la plus célèbre publicité de FTX s’est particulièrement moquée, car finalement Larry was right!

Au bon jugement de chacun

Le plus triste de cette histoire, une fois encore, ce sont évidemment les petits porteurs qui se sont lancés sur la plateforme, seuls, en y plaçant toutes leurs économies, espérant faire mieux qu’un professionnel et maîtriser ce qui ne peut pas l’être.

La mesure et le bon sens doivent toujours précéder vos actions financières. Si vous souhaitez (encore) vous lancer dans l’aventure des cryptomonnaies, faites-le de manière avisée par un fonds de placement dédié aux monnaies virtuelles ou, alternativement, via un fonds sur le secteur des technologies digitales. Ainsi, vous serez exposés au secteur tout en étant diversifié. Vos économies seront placées par un professionnel dans un véhicule juridiquement surveillé par une autorité financière, et vous protégera du pire. Car tant qu’il y aura des Schtroumpfs, il y aura des Gargamel!