Les mesures de re-réglementation de la finance se succèdent. Elles ratent systématiquement leur cible et coûtent des montants faramineux. Les médias, plus hostiles aux banquiers que jamais, et les gouvernements, auteurs de ces mesures, évitent de dresser un bilan. Il est pourtant nécessaire d’évaluer le flux incessant des réformes. Autant l’encouragement à la propriété a conduit à la crise des «subprime», autant les directives visant à «améliorer» la concurrence pourraient engendrer de futures crises.

La dernière initiative de la Banque centrale européenne, appelée «Target 2 Securities» (T2S), porte sur l’après-trading, soit l’enregistrement des transactions boursières, leur règlement et la compensation (clearing). Petite explication. T2S concerne le clearing, soit le versement des montants dus contre la livraison des actions correspondantes. Lorsque les transactions sont internes aux marchés, l’après-trading fonctionne efficacement. En Suisse, le temps nécessaire au règlement d’une transaction est depuis longtemps de 3 jours. Le mécanisme est bien rodé et il est efficace à plus de 99%. Une erreur d’écriture et un besoin de contrôle apparaissent dans moins de 1% des achats ou des ventes.

La difficulté s’accroît avec les opérations transfrontalières, celles que vise la BCE avec T2S. La banque centrale a promis une baisse du coût de l’après-trading des transactions transfrontalières grâce à une centralisation sur une seule plate-forme européenne dès 2013. Initialement budgété à 200 ou 300 millions d’euros, le projet est aujourd’hui estimé à 1 milliard d’euros, par certaines personnes proches du dossier. Son efficacité est remise en cause. La prochaine information le concernant devrait nous annoncer son report d’au moins une année, selon un expert. De toute manière, les milieux boursiers n’en attendent nullement une amélioration de la liquidité du marché. Pourtant la valeur d’une infrastructure boursière se mesure entre autres à la capacité à assurer la liquidité des marchés. La faillite de Lehman Brothers en est la preuve.

L’efficacité de la réforme est douteuse, mais l’objectif politique d’harmonisation et de centralisation cher aux 45 000 fonctionnaires européens sera bel et bien atteint. La réforme aura une autre conséquence. La Centrale dépositaire de titres (CSD) va perdre son quasi-monopole dans les différents pays. La concurrence va s’accroître dans l’après-trading, mais il n’y aura plus qu’un point d’accès pour les CSD qui veulent être actifs sur les marchés. La bourse suisse, à travers SIX SIS, est concernée par ce changement. Elle se dit très bien placée pour profiter de la nouvelle donne grâce à ses accords avec de nombreuses bourses internationales. SIX SIS emploie 390 personnes et enregistre 205 millions de francs de chiffre d’affaires en 2008.

Toutes les initiatives financières de l’UE visent à établir un marché européen intégré. La directive MiFiD ne fait pas exception, mais ici aussi le résultat diffère des objectifs. Mise en œuvre depuis novembre 2007, elle cherche à accroître la protection des consommateurs de produits financiers, la transparence et la concurrence. Elle part de bons sentiments. Mais la réalité s’éloigne des objectifs. Lorsqu’un investisseur du Moyen-Orient effectue une grosse transaction, il évitera le marché officiel et lui préférera un «dark pool» pour masquer sa présence et l’étendue de son ordre. Sa transaction s’effectuera dans une relation bilatérale. Où est la transparence claironnée par Bruxelles?

L’autre objectif de MiFid est de réduire les risques et d’ouvrir le marché des bourses à la concurrence. A nouveau un objectif honorable. Ainsi sont nées les MTF (Multilateral Trading Facilities), ces plates-formes de négoce telles que Chi-X et Turquoise. Elles ont démarré l’an dernier et ont rapidement gagné des parts de marché face aux bourses nationales. Des coûts très bas, une concentration sur les actions les plus traitées et un service de «dark pool» pour les grands investisseurs. Le modèle semblait porteur, d’autant plus que les MTF ne sont pas soumises aux mêmes règles de surveillance que les bourses traditionnelles. Elles n’ont pas les mêmes systèmes de gestion du risque et, à notre connaissance, n’ont pas de simulations de stress. Leurs infrastructures sont légères et leurs effectifs modestes. Elles peuvent offrir des prix inférieurs. Malgré tous ces avantages, Turquoise est à vendre. Et la rumeur voudrait que ces prochaines semaines ses activités et ses engagements soient repris par la bourse de Londres LSE. Le prix devrait être bas puisque, contrairement à Chi-X, son système informatique ne lui appartient pas. Cette disparition devrait laisser un goût amer auprès de la bourse suisse, puisque SIX SIS avait réagi et consenti un rabais tarifaire de 30 millions de francs pour ses membres l’an dernier. Et un nouveau rabais de 12 millions pour le règlement des transactions (settlement) en 2009. Les intermédiaires financiers en ont profité mais il serait étonnant que le petit investisseur en ait vu la couleur.

Une dernière réforme de la finance européenne produit des effets inattendus par ses auteurs. Les autorités de réglementation ont voulu accroître la concurrence dans l’après-trading. Le marché a réagi et une multitude de chambres de compensation se sont créées. Mais la plus grande chambre de compensation d’Europe, LCH.Clearnet, vient d’annoncer qu’elle ne pourra pas offrir dès cette semaine les services de clearing promis à 4 plates-formes de négoce, dont Chi-X. La «prolifération des chambres de compensation pose des risques systémiques», avertissent maintenant les régulateurs (FT du 30.10.2009). Parmi ceux qui tirent la sonnette d’alarme on trouve la Finma, la FSA britannique et les autorités des Pays-Bas. Si l’un des chaînons se brise, on craint une réaction en chaîne. Est-ce que la politique de lutte contre les crises est elle-même un risque de crise? En tous les cas, l’objectif d’une diminution du coût de l’après-trading est remis en cause. Surtout s’il est ajusté du risque systémique.

Un expert résume la situation: les infrastructures boursières ont traversé un formidable développement technologique en 15 ans. 85% des ordres en bourse fonctionnent à merveille et n’occasionnent que 5% des coûts; mais les 15% les plus complexes forment 95% des coûts. Pourtant, les initiatives européennes portent sur les 85% des transactions, celles qui ne posent pas de problèmes. Qui est surpris? L’important n’est-il pas de réformer à tout prix?

L’initiative européenne part de bons sentiments. Mais la réalité s’éloigne des objectifs