Analyse
Les projets liés aux villes intelligentes fleurissent un peu partout dans le pays. Mais il manque une couche organisationnelle pour qu’un véritable projet intégré émerge en Suisse

La Suisse romande n’est pas en avance dans les smart cities, mettait en garde l’expert Didier Faure dans nos colonnes la semaine dernière. Les initiatives en cours – à Genève, Porrentruy ou Montreux – ne représentent qu’une infime partie des possibilités que pourrait offrir ce nouveau domaine en termes de bien-être des habitants, de création de valeur économique et de développement durable.
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La ville intelligente est à l’aménagement du territoire ce que l’intelligence artificielle est à l’informatique. Une avancée qui pourrait bien changer fondamentalement la gestion du tissu urbain, dans lequel vit 82% de la population suisse. Son essor permettrait surtout aux entreprises helvétiques de grignoter une part d’un marché mondial qui s’élèvera à 2570 milliards de dollars en 2025, selon un rapport de l’institut californien Grand View Research.
Des projets limités
Toutefois, s’il existe une dynamique autour de la ville intelligente en Suisse, force est de constater qu’elle l’est sous forme de projets ponctuels. Or, si une ville veut se définir comme «smart», elle se doit d’englober l’ensemble des paramètres de son territoire – mobilité, énergie, communications, sécurité, etc. – pour les améliorer à l’aide des nouvelles technologies. Par exemple, pour ce qui est de la mobilité, la révolution ne réside pas dans la circulation de voitures autonomes et connectées, mais dans les systèmes de mobilité intégrés. Ces derniers géreront les différents modes de transport en combinant services, objets et régulations. Le tout grâce aux analyses de données (Big Data).
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Il y a d’abord un problème de réseau à surmonter. Qui dit données dit objets connectés et capteurs: l’Internet des objets est au centre d’une smart city. Récoltées, centralisées, analysées, les données sont les briques essentielles à toute ville intelligente. Le réseau LoRa permet par exemple aux objets connectés de communiquer à bas débit en utilisant peu d’énergie. S’il est utile pour des capteurs de présence, de bruit, de consommation, etc., il est toutefois inadapté pour des objets mobiles réclamant nombre d’informations, comme les voitures autonomes.
Un signal négatif
Or le réseau 5G – multipliant par 100 la vitesse du réseau internet mobile par rapport à la 4G – est aujourd’hui dans une impasse politique. Le Conseil des Etats a refusé le 5 mars d’assouplir les normes de rayonnement des antennes de téléphonie mobile. Cette technologie n’est pas seulement utile pour que nous puissions regarder des vidéos à haut débit sur nos smartphones. Avec l’avènement prochain des voitures, drones et autres inventions connectées, elle se révélera indispensable.
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Si cette décision – prise notamment en raison du principe de précaution quant aux potentiels effets sur la santé – n’enterre pas la 5G, elle envoie un signal négatif. Son déploiement risque d’être repoussé au-delà de 2020. Cela va donc ralentir certains investissements liés aux nouvelles technologies et affaiblir l’attractivité de la Suisse dans ce domaine.
Surmonter les particularismes locaux
Voilà pour le côté technique. Mais les smart cities ont un défi bien plus compliqué à relever. A sa décharge, la Suisse n’en est qu’aux balbutiements dans ce domaine. Mais on peut d’ores et déjà constater que les initiatives, comme celle de Genève qui songe à centraliser ses données, demeurent trop isolées.
Faire converger des masses d’informations récoltées en temps réel dans une base de données partagée relève d’une vraie gageure. Il s’agit de faire interagir des entreprises, des administrations publiques, des régies fédérales, des télécoms, des chercheurs et des citoyens. Faire s’entendre tous ces intervenants – sans compter les acteurs étrangers – pour créer un langage commun et ouvert à tous demeure pour l’heure chimérique. Si le Big Data est l’eldorado du XXIe siècle, sa récolte et son utilisation restent avant tout privées. Or la finalité des villes intelligentes est d’améliorer le bien public.
Les différents acteurs doivent donc prendre conscience que, pour réussir la création d’une réelle ville intelligente, il faudra songer à une coordination plus poussée. Il faut surmonter les particularismes locaux, voire imposer des standards minimaux. Car la connectivité ne s’arrête pas aux frontières cantonales ou communales.