Un trader déchu réclame 30 millions de dollars à Gunvor
Pétrole
L'ex-employé demande bonus et actions impayés. Le géant du trading pétrolier refuse de s'exécuter et l'accuse d'escroquerie

Un ancien salarié du géant pétrolier Gunvor demande 30 millions de dollars en bonus et en actions impayés, dans un rare cas de litige public opposant employé et employeur du secteur suisse des matières premières.
Licencié en 2012, cet ancien «développeur» des affaires de Gunvor au Congo a envoyé plusieurs commandements de payer à la société depuis juin 2014. Il exige qu’elle lui verse 30 millions de dollars en vertu de son contrat de travail de 2007 et d’un plan de participation du personnel (Employee share plan) de janvier 2011.
Les commandements de payer sont fréquents lors de litiges civils, et leurs montants parfois farfelus. Mais selon l’avocat de l’ancien employé, Matteo Pedrazzini, la somme demandée n’est «pas exagérée». Il estime que son client a permis à Gunvor de réaliser un profit de quelque 100 millions de dollars en obtenant d’importantes cargaisons de pétrole congolais en 2010-2012.
Ces commandements de payer sont complètement absurdes. Aucune personne [chez nous] n’a jamais gagné autant d’argent
L’avocat précise que les 30 millions réclamés se décomposent en «bonus lié au résultat Afrique et au résultat global» du groupe, en plan de rémunération en actions et en dividendes. Il admet que son client «était bien payé et avait des prétentions de bonus assez importantes» pour 2011 et 2012. Selon nos informations, l’employé avait touché une rémunération de 2 678 865 francs en 2010.
Manque de rigueur
Jusqu’à aujourd’hui, Gunvor a refusé de verser la somme réclamée et fait opposition totale aux commandements de payer.
«Ces commandements de payer sont complètement absurdes, explique la société dans une déclaration écrite. Aucune personne [chez nous] n’a jamais gagné autant d’argent. Et certainement pas en relation avec le Congo-Brazzaville qui ne représentait que 1% des volumes pétroliers de Gunvor, soit 2% des profits de la société pour cette période.» «Comme de très nombreux aspects de cette affaire, les chiffres et faits mentionnés sont de grossières exagérations afin d’attirer l’attention du public», estime la société.
Gunvor accuse aussi son ex-employé d’escroquerie et de gestion déloyale. Il aurait détourné à son profit 6,8 millions de dollars de commissions destinées aux agents locaux qui devaient faciliter l’obtention des contrats pétroliers au Congo.
Il m’a dit que j’avais toujours été juste avec lui, qu’il regrettait sincèrement ce qui était arrivé et qu’il espérait pouvoir m’indemniser
Cette thèse est étayée par un document de la banque Clariden Leu, où le «développeur» avait ouvert un compte. Datée de 2011, cette annonce de transaction suspecte note que l’employé était à la fois celui qui effectuait les versements de commissions au nom de Gunvor, et celui qui en réceptionnait une partie sur son compte privé.
Au début de l’affaire en 2012: «Comment le Congo a fait chuter un prince du pétrole genevois»
La banque a fini par dénoncer ces transactions aux autorités fin 2011. L’année suivante, un rapport de la police judiciaire fédérale concluait que l’ancien employé et l’un de ses complices avaient œuvré «en vue d’un enrichissement indu en profitant du manque de rigueur et de contrôle de leur employeur (Gunvor SA)».
Réunion tendue
Depuis, l’affaire a donné lieu à de multiples procédures. Après avoir enquêté sur l’ex-employé, le Ministère public de la Confédération a ce printemps formellement inculpé Gunvor. La société est prévenue de défaillance d’organisation ayant entraîné des faits de corruption au Congo, en vertu de l’article 102 du Code pénal suisse.
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Quant à l’ancien employé, il conteste toute escroquerie. Les 6,8 millions ont été, selon lui, versés par une société française de construction navale, NTA, qu’il avait introduite sur le marché congolais. «C’est quand il a réclamé son bonus que Gunvor a déposé plainte contre lui, affirme son avocat. Ils ont fait diversion pour refuser de lui verser ce qu’ils devaient.»
Devant la police judiciaire fédérale, l’employé a expliqué qu’il avait négocié sa rémunération avec le directeur et aujourd’hui principal actionnaire de Gunvor, le Suédois Torbjörn Törnqvist.
Entendu à plusieurs reprises par la justice suisse, ce dernier a donné sa version des faits sur ces discussions. Selon lui, lorsque l’affaire a éclaté début 2012, l’employé aurait fait acte de contrition lors d’une réunion tendue dans son bureau de directeur: «Il a dit que c’était stupide et qu’il regrettait profondément, a déclaré Torbjörn Törnqvist. Il m’a dit que j’avais toujours été juste avec lui, qu’il regrettait sincèrement ce qui était arrivé et qu’il espérait pouvoir m’indemniser.» On en est aujourd’hui très loin.