Une bourse des valeurs numériques est lancée à Genève
Cryptomonnaies
D'anciens cadres de la finance genevoise ont monté un ambitieux projet de plateforme de trading pour les cryptomonnaies et les jetons numériques émis lors d’ICO

«Nous voulons créer un équivalent européen du Nasdaq pour les actifs numériques», explique au Temps l’un des quatre cofondateurs de Taurus, Lamine Brahimi, qui était auparavant responsable de la digitalisation chez Lombard Odier. Ces actifs numériques comprennent toutes les valeurs pouvant être enregistrées sur une blockchain: les cryptomonnaies, mais aussi les jetons émis lors d’ICO, ces levées de fonds concrétisées en cryptos ou en monnaies traditionnelles. Taurus se pose ainsi en concurrent des leaders mondiaux du secteur, l'«exchange» chinois Binance (basé à Malte, qui veut devenir l’«île de la blockchain») et l’américain Coinbase.
C’est un nouvel élément important dans l’écosystème genevois organisé autour du monde des cryptos et de la blockchain. Le projet Taurus s’inscrit dans un mouvement en pleine accélération favorable aux actifs numériques dans le monde de la finance. Ces dernières semaines, la Capital Markets and Technology Association (CMTA) était lancée à Genève pour fournir des conseils aux entreprises qui souhaitent se financer sur la blockchain. Dans le même temps, le canton du bout du lac se positionnait en tant que centre pour les ICO et une plateforme de trading de cryptomonnaies, SCX, commençait ses opérations depuis la Suisse alémanique, sous l’impulsion de l’ancien directeur de la bourse suisse, Christian Katz.
Trading dès ce mois de juillet
«Le futur va s’ouvrir, nous pensons que les financements à travers des jetons numériques vont se développer de manière significative à l’avenir, à côté des financements traditionnels», poursuit Sébastien Dessimoz, également à l’origine de Taurus après avoir été membre de la direction de Syz Asset Management et directeur de l’antenne genevoise du hedge fund Brevan Howard.
Lire aussi: Genève construit une expertise dans la crypto-due diligence
Les cofondateurs de Taurus, créée après une levée de fonds à 7 chiffres et qui génère déjà des revenus, affirment avoir été approchés par des investisseurs privés et institutionnels pour la deuxième levée de fonds prévue dans les trimestres à venir.
Lire également: A la recherche de la véritable valeur du bitcoin
En pratique, l’activité de trading de cryptomonnaies sera lancée dès ce mois de juillet, d’abord sur le bitcoin et l’ether, en direction des clients privés et institutionnels. La société développe également des solutions de stockage et sécurisation d’actifs numériques pour ses propres besoins et pour une clientèle institutionnelle. Elle compte déjà parmi ses clients un établissement bancaire suisse. Dès la rentrée, la plateforme prévoit de fournir des solutions d’investissement dans des actifs digitaux. En clair, des produits traditionnels comme des fonds ou des certificats, grâce auxquels des intermédiaires financiers permettront à leurs clients de s’exposer à cette nouvelle classe d’actifs.
La carte de la sécurité
Restera donc à trier le bon grain de l’ivraie parmi les ICO qui s’effectueront sur la plateforme Taurus. Selon une récente étude de Morgan Stanley, près de deux tiers de ces levées de fonds ont échoué avant ou après avoir commencé en 2017. Et sur celles qui ont récolté des fonds, un tiers environ a mal fini. Face à ce risque opérationnel et de réputation, nos interlocuteurs affirment qu’une sélection des projets sera opérée avant les ICO.
Pour se différencier face aux autres bourses orientées sur les nouvelles technologies, Taurus met en avant le fait qu’elle sera surveillée directement par la Finma. Le surveillant suisse des marchés a été l’un des premiers régulateurs financiers à avoir clarifié le cadre réglementaire des jetons numériques, à l’automne 2017. «Nous allons débuter une activité d'intermédiaire financier et nous voulons obtenir une licence de négociant en valeurs mobilières auprès de la Finma, afin de remplir les plus hauts standards institutionnels, ce qui nous distinguera des autres acteurs européens», précise l’avocat Oren-Olivier Puder, lui aussi cofondateur de Taurus et spécialisé dans le droit bancaire.
Cette licence permet de recevoir des actifs en dépôt et de traiter des jetons numériques considérés comme des valeurs mobilières («security tokens»). Un négociant en valeurs mobilières doit posséder un capital d’au moins 1,5 million de francs, selon l’ordonnance sur les bourses.
Partenariat avec l’EPFL
«Avec la licence de «payment institution» utilisée en Europe, le client d’une plateforme ne bénéficie pas du même niveau de garantie et de capital qu’une banque ou un négociant en valeurs mobilières en Suisse, notamment en cas de vol ou de défaut», poursuit Sébastien Dessimoz.
Concrètement, que se passerait-il en cas d’ICO frauduleuse ou de hack sur la plateforme Taurus? «Le risque zéro n’existe pas, cela étant, le fait d’être réglementé en tant que négociant en valeurs mobilières impose des garde-fous et des contrôles importants, poursuit Oren-Olivier Puder, mais la sécurité vient surtout de l’infrastructure et de la cybersécurité mises en place et des personnes en charge.»
La dimension sécuritaire repose notamment sur l’expérience du quatrième cofondateur, Jean-Philippe Aumasson, docteur en cryptographie de l’EPFL et ancien de Kudelski, qui a conçu certains protocoles utilisés par les smartphones et collabore avec des protocoles blockchain pour auditer leur sécurité. Taurus a également mis sur pied un comité technologique composé de Bryan Ford, expert en blockchain et responsable du laboratoire Dedis de l’EPFL, dédié aux systèmes décentralisés et distribués, ou encore de Thomas Roth, classé dans les «under 30» du magazine Forbes pour son expertise en matière de sécurité. Taurus emploie pour l’instant une dizaine de collaborateurs internes et externes, et cherche à recruter.