Une fraude chez Credit Suisse coûte 100 millions à un oligarque géorgien
Finance
Un gestionnaire a causé de gigantesques pertes à l'ancien premier ministre de Géorgie Bidzina Ivanishvili. Il est aujourd'hui en prison, pour avoir investi en cachette l'argent de ses clients dans des actions de la société américaine Raptor. Deux autres clients préparent une plainte pénale contre Credit suisse

Un banquier genevois de Credit Suisse est détenu dans une affaire de fraude au préjudice d'un milliardaire géorgien, Bidzina Ivanishvili. Le magistrat en charge de l’affaire, le procureur Yves Bertossa, a confirmé l’arrestation du banquier, ainsi qu’une perquisition qui a visé son domicile. Le Tribunal genevois des mesures de contraintes a décidé mercredi son maintien en détention pour une durée de trois mois.
L’affaire a été partiellement révélée mercredi matin par le Tages-Anzeiger. Credit Suisse l'a évoquée dans son apport financier du troisième trimestre 2015, sans donner beaucoup de détails. Le Tages-Anzeiger affirme que le préjudice serait supérieur à 50 millions de francs. Selon nos informations, ce montant est en fait plus proche de 100 millions. «Le gestionnaire a fait n’importe quoi, ajoute un proche du dossier. Ce sont des agissements graves.»
Des compétences outrepassées
Dans son rapport, Credit Suisse explique qu’un «ancien gérant» aurait, selon certains clients, outrepassé ses compétences, ce qui aurait conduit à une concentration de risques excessives et à des pertes significatives. La banque affirme mener une enquête interne sur ces allégations.
L'identité du client donne à cette affaire un retentissement particulier. Bidzina Ivanishvili est un oligarque géorgien pro-russe qui a été premier ministre de Géorgie en 2012-2013. Il est aussi un important actionnaire du géant gazier russe Gazprom, et un grand collectionneur d'art. Les avoirs qu'il avait déposés auprès de Credit suisse étaient considérables – plus d'un milliard de francs. La somme aurait sérieusement fondu aujourd'hui, suite aux placements hasardeux de son gérant.
L'avocat du banquier, Simon Ntah, assure que celui-ci n'avait aucun dessein d'enrichissement personnel. Il aurait d'abord subi des pertes sur les marchés financiers, avant de tenter de les combler à l'insu de ses clients. «Ce n'est pas de l'argent qui a disparu, ce sont des investissement qui ont perdu de la valeur», ajoute l'avocat. Très affecté par cette affaire, le banquier «collaborerait pleinement à la manifestation de la vérité».
D’autres responsabilités dans la banque?
L'enquête sur cette fraude va encore prendre de l'ampleur. Car une plainte pénale et une dénonciation auprès de la Finma, le gendarme financier helvétique, sont en préparation contre Credit Suisse, a appris Le Temps. Elles émanent de deux autres clients. Ils affirment avoir perdu 70 millions de francs à cause des mauvais placements du même gérant.
Comme pour le client géorgien, leurs avoirs étaient investis dans une société pharmaceutique américaine, Raptor. En septembre, celle-ci a fait savoir qu'un médicament qu'elle développait n'avait pas obtenu les résultats cliniques espérés. Depuis, son action n'a cessé de chuter, entraînant des pertes considérables.
Le banquier du Credit suisse utilisait des comptes cachés pour investir massivement l'argent de ses clients dans Raptor. «Il n'en parlait pas aux clients, il utilisait leurs avoirs pour acheter du Raptor, et leur octroyait en retour des prêts, des crédits lombards au nom de la banque», ajoute un proche du dossier. Dans le cas de Benidza Ivanishvili, ces prêts se chiffreraient en centaines de millions.
Comment ces jongleries ont-elles pu échapper aux mécanismes de contrôle interne du Credit Suisse? C'est la grande question que pose ce dossier. Selon des sources proches des clients lésés, le banquier gagnait d'importants bonus et générait des commissions considérables pour la banque – jusqu'à 15 ou 20 millions de francs par an. Des profits qui n'auraient guère incité sa hiérarchie à surveiller son comportement.
Contacté par Le Temps, les porte-parole de Credit Suisse n'ont fait aucun commentaire.