C’est dans une maison de maître, hauts plafonds, ancien parquet, cheminées en marbre, que les «start-upers» de l’incubateur Seedspace ont pris leurs quartiers en début d’année. Le tout avec 15 000 mètres carrés de terrain à disposition à seulement dix minutes en tram du centre de Genève.

L’idée émane des quatre associés de Seedstars spécialisés dans le lancement et le financement de start-up. Lorsqu’ils se sont retrouvés à l’étroit dans leurs bureaux carougeois, «avec 8 chaises pour 15 personnes», ils se sont mis en quête d’un espace plus grand, explique Michael Weber, l’un des fondateurs. Un espace qu’ils pourraient, se disent-ils alors, partager avec d’autres entrepreneurs actifs dans les technologies. «On savait qu’il y avait beaucoup de maisons inoccupées à Genève», poursuit-il, sourire en coin.

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Une maison repérée

En moins de trois mois, ils en repèrent une à Chêne Bougeries. Après des discussions avec la régie Broillet, un accord est rapidement trouvé: ils peuvent occuper les lieux gratuitement, «jusqu’à la fin 2016 au moins», à condition de prendre soin de la demeure et de son immense jardin. En échange, les propriétaires ont la garantie que leur maison ne sera pas squattée par d’autres.

Stéphane Journot et Sandra Febvre sont nommés maîtres des lieux. Leur mission? Créer une atmosphère propice à l’innovation. «Un peu à l’image des garages à San Francisco où bon nombre de technologies ont vu le jour, soulignent-ils. Ou de ce qui peut se faire aujourd’hui dans des lofts à Berlin.»

En janvier, après avoir pris possession des lieux, ils entament quelques travaux de réaménagement. Peinture, jardinage, mobilier, décoration: «Tout a été fait avec du matériel de récupération, se félicite Stéphane Journot. Une philosophie très start-up qui consiste à tout faire avec très peu d’argent.»

Grâce aux écoles polytechniques, notamment, on regorge de jeunes talents, explique-t-il. Mais malheureusement, on a du mal à les retenir.

Pour Stéphane Journot, l’idée était de ramener une dynamique entrepreneuriale en territoire romand. De montrer qu’en Suisse aussi on peut penser et créer le monde de demain. «Grâce aux écoles polytechniques, notamment, on regorge de jeunes talents, explique-t-il. Mais malheureusement, on a du mal à les retenir.»

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Les travaux ont été terminés en juillet et l’espace collaboratif s’étale désormais sur trois étages. Au rez-de-chaussée se trouvent la cuisine, une véranda et deux salles «open space» que se partagent habitués et gens de passage. Car la maison fait aussi office d’espace de «coworking». Ceux qui veulent en profiter doivent débourser 350 francs par mois pour disposer d’une place dans la maison et profiter des facilités communes (internet, projecteurs, café, etc.). Au premier étage: deux salles de conférences et deux bureaux privés. Pour occuper l’un d’eux, le prix est de 420 francs par mois et par personne.

Des réservations via airbnb

Reste enfin le deuxième étage où des chambres sont disponibles pour héberger les gens de passage. La nuit coûte 60 ou 70 francs et les réservations se font via airbnb. «On teste tout et on regarde ce qui fonctionne», précise Stéphane Journot. Et puis l’idée de permettre aux gens de se loger sur place nous différencie de nos concurrents.»

Aujourd’hui, 25 personnes, dont la moyenne d’âge ne dépasse guère les 30 ans, se partagent les lieux. Six start-up y ont élu domicile, et plusieurs indépendants (conseillers, analystes, etc.) figurent au rang des habitués.

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Il y a les start-up qui ont été lancées avec l’aide de Seedstars, comme Qozy dont le concept est de livrer à domicile des repas dignes d’un restaurant. Ou comme Wiine.me qui propose – et livre – à ses membres (près de 1000 aujourd’hui) trois bouteilles de vin européen de qualité chaque mois. Et puis les autres, tels qu’Investiere venture capital qui regroupe 6000 investisseurs et spécialistes du monde des start-up et dont le but est de faciliter l’investissement via une plateforme en ligne. Ou comme Hoppbox, qui prépare des «en-cas sains et malins» pour des apéritifs au travail ou à la maison, et BuyClub.ch, sorte de Groupon genevois qui vise un public d’expatriés principalement.

Le déjeuner du midi

Aujourd’hui, tout ce petit monde se côtoie, échange, s’entraide et travaille ensemble. Il n’existe pas d’horaires précis, les résidents se partagent les clés de la maison avec une présence, en règle générale, de 8h30 à 20h. Les mercredis à midi, ils ont pris l’habitude de déjeuner ensemble, l’occasion de faire des barbecues en été et de profiter de la terrasse qui s’offre à eux. Des événements ponctuels, pour des sociétés externes, des banques privées, sont également organisés certains soirs. «C’est une opportunité pour placer les vins de Wiine.me ou les chefs de Qozy, précise Stéphane Journot. Et puis la maison de maître, la déco funky et l’ambiance jeune et high-tech fait toujours son effet sur nos hôtes.» Sans oublier que cela permet à Seedspace de pouvoir compter sur une troisième source de revenus, après la location des places de travail et des chambres à coucher.

Pas un accès garanti

Si ces hôtes d’un soir peuvent rêver d’un tel environnement de travail le temps d’un apéritif ou d’une conférence, ils n’en auront pas forcément l’accès tous les jours. Car pour avoir sa place au sein de Seedspace, il faut être lié au monde digital, averti Stéphane Journot. «Nous refusons pas mal de monde à cause de cela, poursuit-il. Or, nous préférons ne pas être complet mais accueillir des personnes qui sont toutes compétentes dans un seul et même domaine.» Selon lui, c’est justement le fait que tout le monde dispose d’un vocabulaire et d’un univers commun qui rend les synergies plus faciles au sein de la maison. Et qui fait la force de l’incubateur.

C’est le cas notamment d’Alexandre Weber, qui travaille pour Seedstars et dont le but est de venir en aide aux start-up liées au groupe et d’apporter une dynamique collaborative au sein de la maison. Sa présence représente une chance pour les autres qui peuvent bénéficier de son aide et de ses compétences, explique Stéphane Journot. Comme lorsqu’Hoppbox a eu besoin d’une présence sur internet simple mais rapide. «Et qu’il a pu leur a arrangé tout cela en 10 minutes à peine».

Lorsque l’on est en phase de développement par exemple, on peut discuter avec les autres, décrire nos problèmes, se faire challenger et remettre nos idées en cause par des personnes qui prennent du recul, de la hauteur, et qui sont passées par des situations similaires

Frédéric Chenevard, lui, est l’un des deux associés de Wiine.me. Il est l’un des premiers aussi à avoir pris ses quartiers dans la demeure, au mois de mars. Logique dans la mesure où Seedstars est l’investisseur principal de son projet depuis ses débuts en 2013. Outre le «cadre unique» qui s’offre à lui, le jeune entrepreneur (34 ans), qui vend ses vins dans 9 pays, énumère les avantages dont il profite au sein de la maison-incubateur: «Ici tout le monde a plein de projets, explique-t-il. Mais aussi des solutions à apporter. Lorsque l’on est en phase de développement par exemple, on peut discuter avec les autres, décrire nos problèmes, se faire challenger et remettre nos idées en cause par des personnes qui prennent du recul, de la hauteur, et qui sont passées par des situations similaires.»

Le système fonctionne, assure Frédéric Chenevard. Pour preuve, Wiine.me vient de lever 250 000 francs auprès de partenaires stratégiques suisses. «Et on travaille souvent avec BuyClub.ch, on fait des offres ensemble, souligne-t-il. C’est un partenariat qui fonctionne bien.»

Editorial. La nécessité de promouvoir un écosystème favorable à l'innovation