Le problème que rencontre le système de prévoyance suisse tient avant tout à «la motivation de tous ses acteurs», a affirmé Jacques Grivel, directeur général de Fundo, interrogé lors du Forum Prévoyance, organisé jeudi par Le Temps à Lausanne. La détérioration des perspectives de rente est affaire d’incitations, à son avis.

A lire: Pierre-Yves Maillard contre Nicolas Jutzet: Repolitiser ou dépolitiser la prévoyance?

Il règne de plus en plus «une mentalité d’assurance vie», renchérit Doris Bianchi, directrice de Publica, la caisse de pension des employés de la Confédération, avec 42,5 milliards de francs d’actifs sous gestion. Le regard est excessivement centré sur la solvabilité dans la gestion des capitaux de retraite. Cette attitude de grande prudence est jugée «dangereuse pour le 2e pilier». Elle est d’ailleurs plus répandue en Suisse alémanique qu’ici. La vision est plus économique outre-Sarine. Il règne donc clairement «un Röstigraben dans la prévoyance», selon l’ancienne collaboratrice personnelle d’Alain Berset. Un taux de conversion inférieur à 5%, comme on le retrouve parfois, est à son goût problématique. Ce taux atteint 5,09% chez Publica.

Un comportement rationnel

Les membres des conseils de fondation agissent parfaitement en accord avec le concept de rationalité limitée imaginé par Herbert Simon, lauréat du Prix Nobel d’économie en 1978, observe Jacques Grivel. Dans Administrative Behavior: a Study of Decision-Making Processes in Administrative Organizations, l’économiste américain montrait qu’en l’absence d’informations, face à la complexité et contraint par un temps limité, l’homme économique tend à prendre une décision satisfaisante mais sub-optimale.

A lire aussi: Mais qui parle de sauver nos retraites?

La statistique montre donc que le système suisse est désincitatif, selon Jacques Grivel. Le taux minimum LPP du Conseil fédéral (lequel s’applique à la rémunération des avoirs de vieillesse pour la partie obligatoire) est à seulement 2% annualisé sur ces vingt dernières années. Il est «très en dessous du champ des possibles», déclare Jacques Grivel. En effet, les caisses de pension ne parviennent pas à battre la performance médiane d’un portefeuille de caisse de pension de référence qui serait établi sur la base de stratégies aléatoires composées des principales classes d’actifs autorisées par la loi sur les placements (OPP2).

A lire aussi: Notre système de retraite n’est pas en phase avec les nouveaux modes de vie

Une caisse de pension qui aurait agi ainsi aurait présenté, entre 2001 et 2021, une performance annuelle est de 4% (y compris les frais annuels de 0,43%). Ce rendement de 4% dépasse d’un demi pour cent le rendement de l’indice Credit Suisse des caisses de pension qui exprime la performance de la branche. La raison de ce résultat peut être expliquée, selon Jacques Grivel, notamment par la non-exploitation du budget de risque par les membres du conseil de fondation. En effet, les responsables ne sont pas incités à le faire et les consultants auxquels ils ont recours font face aux mêmes défis. Il est connu en finance que la crainte de la perte prend le pas sur celle de ne pas gagner dans le cadre d’une décision.

L’impact d’une surperformance

Les autorités politiques devraient également se préoccuper des externalités négatives. Il leur appartient d’étudier des solutions utiles pour les acteurs de la prévoyance en leur montrant le champ des possibles. Or 1% de surperformance pendant quarante ans accroît la rente de 48,9%, estime Jacques Grivel. Si le rendement atteint 4,7% par an, il ne serait pas nécessaire de réduire le taux de conversion en dessous des 6,8% actuels.

A lire aussi: Des inégalités qui perdurent

Pendant ces vingt dernières années, 65 milliards de francs supplémentaires auraient pu être générés si les caisses de pension avaient appliqué une allocation médiane. Aujourd’hui, le marché de la prévoyance professionnelle représenterait 1065 milliards de francs au lieu de 1000 milliards.

Un travail d’introspection permettrait de se comparer aux possibilités de l’OPP2 plutôt qu’à soi-même (benchmark) ou à ses pairs. «A mon avis, les caisses de pension ne croient pas assez au marché et au capitalisme», conclut-il. La solution passe, selon Jacques Grivel, par le libre choix de la caisse de pension, une concurrence accrue entre les acteurs et l’octroi de plus grands avantages fiscaux pour la prévoyance individuelle.