L’expérience de ces douze dernières années l’a démontré. «Il a été impossible de parvenir à un consensus, simultanément, sur une vingtaine de thèmes», soulignait la semaine dernière Pascal Lamy, ex-directeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en référence au Cycle de Doha, au point mort peu après son lancement en 2001. La stratégie imaginée pour sortir ces négociations de l’ornière, et par là même l’OMC en tant qu’arène multilatérale: procéder par morceaux.

Concrètement, la manœuvre vise à ne dégager un consensus que sur quelques éléments acces­sibles du bloc de Doha. En l’occurrence trois (facilitation des échanges – dossier vedette –, questions agricoles et aspects de développement). Soit «les fruits les plus faciles à cueillir», dans le jargon diplomatique. «Bali est le test, grandeur nature, de cette nouvelle politique des petits pas décidée lors de la ­dernière Conférence ministérielle à Genève en 2011», précise Arancha Gonzalez, directrice exécutive du Centre du commerce international et directrice de cabinet de Pascal Lamy.

La tactique paraît simple. En théorie. A Genève, les membres de l’OMC ont atteint, lundi passé, les limites de l’exercice. Ce dernier doit se poursuivre, espèrent-ils, ces quatre prochains jours à Bali.

Simplifier le transit douanier

Selon la majorité des observateurs de l’OMC, notamment la Suisse, la facilitation des échanges est un thème clé de Bali. Les esti­mations des gains engendrés par un accord simplifiant les procé­dures douanières oscillent entre 400 milliards de dollars et près de 1000 milliards, soit la création de plus de 20 millions d’emplois. «Mais les Etats ont réalisé que dénouer ce sujet phare était plus compliqué que prévu, à cause de l’écheveau de lois nationales qu’il faudrait modifier», relève Ricardo Meléndez-Ortiz, directeur de l’ICTSD à Genève.

Porté par les pays développés, ce texte prévoit notamment une assistance technique et financière pour permettre aux pays les moins avancés (PMA) de mettre en œuvre les nouveaux standards. Partis divisés sur la question, les PMA se sont toutefois mis d’accord vendredi – in extremis – pour un soutien groupé. «Un changement de dispositif implique des frais et des pertes de revenus douaniers, signale Isolda Agazzi, d’Alliance Sud. Mais c’est un progrès pour les échanges intra­régionaux, notamment en Afrique.» Au départ réticents, la coalition Afrique, Caraïbes, Pacifique et les pays d’Amérique latine (Argentine, Bolivie, Equateur, Venezuela) militent à présent pour ce dossier.

Dossier agricole

Sur le plan agricole, on peut distinguer l’initiative pour une sécurité alimentaire du G33 (46 pays menés par l’Inde) et la diminution de moitié des subventions et autres crédits aux exportations agricoles des pays avancés, demandée par le G20 (groupe des agro-exportateurs de l’OMC, tel le Brésil). Dans le premier cas, il s’agit de revoir certaines règles de subvention pour permettre la constitution de réserves alimentaires. Les Etats-Unis, l’Union européenne, le Pakistan et le Mexique, notamment, s’y opposent, craignant que la mise sur le marché de ces stocks ne provoque une distorsion des prix. Le compromis: accorder un moratoire de quatre ans contre toute plainte pour subvention illégale. Contre toute attente, cette «clause de paix» semble avoir été balayée en dernière instance par l’Inde, qui avait pourtant eu le mérite d’inscrire – à l’arraché – ce thème à l’agenda de Bali. La raison: les élections indiennes en 2014 poussent ses autorités à remplir leur promesse faite en 2009 d’offrir à leurs populations les plus pauvres des aliments très bon marché.

«La facilitation des échanges, censée être l’enjeu le plus prometteur pour le commerce mondial, a été comme éclipsée par ces revendications, commente un diplomate basé à Genève. Le temps qui leur a été dédié a pénalisé l’avancée sur d’autres objets de négociation.» ­Paradoxe: l’Inde ne s’est jamais cachée de son intérêt fondamental à voir la question de la facilitation des échanges résolue.

Volet développement

L’élément le moins révolutionnaire du paquet pour Bali est sans doute celui qui touche au développement. Il comprend, en vrac: la ­demande d’accès hors contingent et sans droit de douane pour 97% des produits des PMA, la simplification des règles d’origine pour ces mêmes pays, l’emblématique tentative de supprimer les subventions sur le coton et une dérogation pour leur exportation de services.

«Dix textes ont été négociés comme un tout. Seul celui sur la facilitation des échanges demeure chancelant. Les autres sont prêts, mais rien n’est encore formellement convenu», a résumé mardi le directeur général de l’OMC, Roberto Azevêdo. Il s’agit à présent de voir dans quelle mesure les lignes dessinées à Genève vont encore pouvoir évoluer à Bali.