L’une meurt, tandis que l’autre s’apprête à naître. Lancé en mai 2017, le farinet tire sa révérence. Mardi, l’association à l’origine du développement de cette monnaie locale valaisanne a annoncé la nouvelle dans un communiqué après avoir tenu une assemblée extraordinaire la veille. Selon elle, le farinet n’a pas rempli ses objectifs et était devenu «bien plus un objet de collection qu’un objet d’échange». Les détenteurs auront jusqu’au 31 décembre pour écouler leurs billets. Hasard du calendrier, la commune de La Chaux-de-Fonds s’apprête à lancer au mois de décembre son propre système de paiement local: l’abeille.

Le «léman» pour le bassin lémanique, le «20 val» dans le Val-de-Travers, ou encore «l’épi» dans le Gros-de-Vaud… Depuis 2015 les projets de monnaies se sont multipliés avec comme objectif de promouvoir l’économie locale. Des projets qui se heurtent parfois à la situation économique de la Suisse. «Nous avons une économie extrêmement monétarisée et il y a peu de chômage, précise Olivier Crevoisier, chercheur spécialisé en économie territoriale à l’Université de Neuchâtel. Il n’y a pas de région où il y aurait clairement un manque d’activité économique.» C’est pourtant théoriquement l’objectif de base d’une monnaie locale.

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Souvent cité comme exemple de réussite, le «palmas» a été lancé en 1998 dans une favela de Fortaleza dans le nord-est du Brésil. Ses habitants effectuaient l’essentiel de leurs achats à l’extérieur de ce quartier. La création de cette monnaie et l’octroi de microcrédits ont permis de créer une économie locale à l’intérieur de la favela. Une situation différente du contexte helvétique.

«Il ne suffit pas d’émettre des billets pour qu’ils circulent»

«Souvent les monnaies locales en Suisse viennent se superposer au circuit monétaire traditionnel, détaille Olivier Crevoisier. C’est une complication supplémentaire plutôt qu’une opportunité de développer des circuits locaux.» La principale difficulté consiste en effet à réussir à créer une boucle économique autonome. «Si cet argent est dépensé dans un restaurant par exemple, le restaurateur va peut-être pouvoir se fournir en partie chez des producteurs locaux, mais il aura aussi des fournisseurs nationaux qui n’acceptent pas la monnaie», illustre Olivier Crevoisier. Le commerçant chez qui la monnaie locale s’accumule va donc chercher à la changer en francs. «L’organisme qui la gère doit donc fournir à nouveau un effort pour remettre en circulation cette devise locale», conclut Olivier Crevoisier.

Dans son communiqué, l’association chargée du farinet met d’ailleurs en avant la difficulté pour une petite équipe d’«assumer à elle seule l’ensemble des tâches nécessaires à une circulation fluide et un service de qualité». Pour éviter ces problèmes le léman lancé en 2015 a fait le choix d’allier à sa monnaie un système de crédit entre entreprises appuyé sur une blockchain et un porte-monnaie en ligne. «Avec des billets, on reste très marginal, souligne Jean Rossiaud, porte-parole du léman. Nous avons toujours pensé qu’une monnaie locale ne pouvait pas s’implanter si elle ne passait pas au numérique.»

Des abeilles à La Chaux-de-Fonds

«Nous savons que c’est un pari que nous faisons, reconnaît Théo Huguenin-Elie, conseiller communal à La Chaux-de-Fonds. Il y a une chance sur deux que ce système existe encore dans cinq ans.» Consciente des problèmes posés par le développement d’une monnaie locale, la cité horlogère a travaillé avec la Haute école Arc pour étudier le fonctionnement et les dysfonctionnements de différentes devises en Suisse et à l’étranger. «Pour qu’elle soit attractive, il faut qu’elle soit très simple», constate Théo Huguenin-Elie.

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L’abeille prendra donc la forme d’une carte rechargeable. «La ville va engager annuellement une centaine de milliers de francs dans la monnaie locale pour payer une partie des primes de fin d’année et pour offrir à tous les collaborateurs de la ville une carte-cadeau d’une valeur de 50 francs», détaille le conseiller communal. Des entreprises partenaires du projet se sont également engagées à injecter 120 000 francs.

Ce système de paiement sera mis en place à partir du mois de décembre et utilisable dans 75 points de vente et commerces chaux-de-fonniers via un terminal de paiement dédié. «Les commerçants sont directement payés en francs, ce qui leur évite d’avoir une double caisse, précise Théo Huguenin-Elie. L’idée est que cet argent circule dans un périmètre restreint pour soutenir l’économie locale.» Si elles sont locales par essence, c’est aussi cette restriction qui rend ces monnaies difficilement viables.