Quelque 6500 professionnels du droit désignent les meilleurs de leurs confrères dans chaque spécialité. «Le Temps» publie les résultats de cette enquête exclusive, en partenariat avec «Bilanz». Voir notre cahier complet, avec les classements, en PDF.

Le contexte du fonds souverain malaisien 1MDB potentiellement pillé de plusieurs milliards de dollars, le groupe de construction géant Odebrecht dans le dossier Petrobras ou des hauts responsables impliqués dans l’affaire de corruption de la FIFA ont tous un point commun. Ils ont été défendus par le bureau d’avocat Schellenberg Wittmer.

Considérée comme l’une des meilleures études, selon le sondage Statista réalisé auprès de 6500 avocats en Suisse, celle-ci se distingue dans plusieurs domaines, notamment en matière de contentieux, en particulier de droit pénal économique, plus communément appelé «la criminalité en col blanc», mais également en fusions et acquisitions, en droit commercial, droit fiscal, droit bancaire et financier ou encore en matière d’arbitrage.

Une croissance après la fusion

A Genève, à la rue des Alpes, à quelques pas du quartier des Pâquis, des portes vitrées s’ouvrent sur un hall épuré et contemporain. L’étude Schellenberg Wittmer occupe un immeuble entier, soit environ 4500 m². Le président du conseil d’administration, Benjamin Borsodi, qui porte le titre de managing partner, évoque la tradition historique du bureau en matière de contentieux économique. «Avant la fusion, il y a dix-sept ans, des deux bureaux d’avocats Schellenberg & Haissly et Brunschwig Wittmer, nous étions déjà passablement axés sur la résolution de litiges de droit des affaires», explique-t-il. Depuis ce rapprochement, le cabinet a connu une forte croissance et a doublé ses effectifs, une progression qui s’explique notamment par l’inflation de régulations au fil du temps. Schellenberg Wittmer compte actuellement 252 collaborateurs, dont 110 à Genève, 140 à Zurich et 2 à Singapour. La moitié d’entre eux sont des avocats.

Un taux horaire atteignant jusqu’à 700  francs

A Genève, le bureau emploie une dizaine d’avocats stagiaires, triés sur le volet en fonction de leur cursus universitaire. «Les places sont déjà réservées jusqu’au début de 2019. Ceux-ci réalisent un stage de dix-huit mois et effectuent préalablement six mois d’école d’avocature, rappelle Benjamin Borsodi. Une fois leur brevet d’avocat obtenu, nous essayons de retenir les meilleurs d’entre eux en leur proposant un poste de collaborateur.» Les honoraires passent de 200 francs l’heure pour un stagiaire à 300, voire 400 francs pour un collaborateur. Après cinq à sept ans, certains d’entre eux ont la possibilité de devenir associé. Les taux horaires progressent alors à 500 ou 600 francs et peuvent même atteindre jusqu’à 700 francs l’heure. «Mais l’étude a des frais substantiels à couvrir, comme n’importe quelle entreprise, à savoir des salaires à verser, des loyers à payer, etc.», rappelle Benjamin Borsodi.

Schellenberg Wittmer, constituée en société anonyme, appartient à ses 42 associés, parmi lesquels on trouve seulement trois avocates associées. «De plus en plus de bureaux d’avocats de taille moyenne ou importante choisissent la forme d’une société anonyme, ce qui offre plus de flexibilité.» En matière de rémunération, l’étude a choisi le modèle intégré. Il s’agit en quelque sorte d’un pot commun dans lequel chacun met l’ensemble des revenus avant d’appliquer une répartition des charges selon l’ancienneté ou d’autres critères. Mais il y a aussi des objectifs à atteindre pour les avocats. «Chacun doit produire une activité correspondant à environ un minimum de six heures et demie par jour de travail facturé aux clients, soit un total de 1400 à 1450 heures par année. Cela représente des grosses journées aussi passionnantes qu’intenses», estime Benjamin Borsodi.

Un risque de conflits d’intérêts

Quels sont actuellement les principaux défis à relever dans le métier? S’agit-il de la mue numérique qui touche petit à petit aussi le secteur juridique, à l’exemple de plateformes qui permettent de demander des devis directement à des experts juridiques ou fiscaux ou même de se passer d’avocat? «Aux Etats-Unis, des logiciels d’intelligence artificielle permettent déjà de faire des recherches juridiques et de trouver beaucoup plus rapidement des décisions de jurisprudence pour estimer les chances de succès d’un procès. Tout se numérise et il faut s’y préparer», note Benjamin Borsodi dont l’une des préoccupations est le risque de conflits d’intérêts rencontrés quotidiennement.

«Lorsqu’un nouveau client nous approche, nous vérifions dans notre base de données et auprès de nos associés et collaborateurs, systématiquement et dans les 24 heures, un éventuel dossier préexistant. Pour éviter tout conflit d’intérêts, nous devons renoncer régulièrement à des dossiers intéressants», concède Benjamin Borsodi qui n’hésite pas, dès lors, à conseiller un bureau concurrent. «Nous suivons scrupuleusement les autres études d’avocats mais il n’y a pas de concurrence féroce entre nous», précise-t-il.

L’autre difficulté que relève le managing partner de Schellenberg Wittmer et la pression de plus en plus marquée des clients sur les honoraires, eux-mêmes soumis à une pression sur les coûts. «Dans certains domaines, nous faisons face à une demande croissante de tarifs forfaitaires ou de rabais. A cet égard, il y a une pression qu’on ne connaissait pas il y a dix ou quinze ans. Le bureau de Zurich subit notamment une forte concurrence d’études frontalières allemandes qui n’hésitent pas à brader les honoraires pour obtenir des mandats où le droit suisse n’est pas primordial.»


Lenz & Staehelin, géant à taille humaine

Le conseil aux banques suisses, prises dans la nasse du programme américain? C'étaient eux. La vente de la régie Brolliet au groupe Foncia? Encore eux. Le rachat des activités de Coutts par l'UBP? L'impossible reprise de Sika par Saint-Gobain? Toujours eux. Droit bancaire et financier, conseil fiscal, arbitrage, fusions et acquisitions: de la Goldküste aux rives du Léman, Lenz & Staehelin fait partie des quelques noms incontournables du monde helvétique des affaires. Et pour cause: avec plus de 200 praticiens entre Genève, Zurich et Lausanne, l'étude d'avocats est la plus grosse du pays.

Née en 1991 de la fusion de deux études respectivement fondées en 1917 à Zurich par Conrad Staehelin et en 1951 à Genève par Raoul Lenz, Lenz & Staehelin chasse sur les mêmes terres que ses quelques grands concurrent nationaux: Schellenberg Wittmer, Bär & Karrer, Homburger. Avec cette particularité, relève Jean-Blaise Eckert, associé genevois à la tête du pôle fiscal de l'étude: «Nous avons une présence identique à Genève et à Zurich», là où les autre grands sont plus développés outre-Sarine.

«Une fusée»

«Lenz & Staehelin est une fusée, ose Jean-Blaise Eckert. A la fois rapide, multitâche et intégrée, dans laquelle chaque étage a son rôle à jouer.» Ces différents étages étant, sur le modèle anglo-saxon, autant de départements, ou practice groups, bien fournis: une vingtaine de collaborateurs pour le département fiscal, quelque 35 pour le groupe «Banque et Finance», etc. «Ils ont tous les gros clients, en particulier dans le domaine bancaire et financier et dans celui des fusions et acquisition, avance un ancien du groupe. Mais ils font largement plus de conseil que de contentieux. Ce ne sont pas, par exemple, les spécialistes du pénal économique. Même s'ils en font forcément.»

Sur le modèle anglo-saxon toujours, l'étude fonctionne, en matière de rémunération, sur un modèle intégré: les revenus sont mis en commun et distribués aux associés de manière prédéfinie, notamment sur la base de l'ancienneté. Le modèle tranche avec celui de plus petites études, où règne le principe dit du eat what you kill, qui favorise les individualités, chacun des associés se voyant allouer la part de revenus imputables à «ses» clients. Pourtant, contrairement à d'autres études qui, en grandissant, ont opté pour le régime de la société anonyme ou de la Sàrl, Lenz & Staehelin a conservé sa forme juridique de société de personnes.

L&S, comme Lénine et Staline

En dehors des quelques vedettes du groupe qui attirent les clients sur leur seul nom personnel – à Genève, Shelby du Pasquier ou François Reyroux en droit bancaire et financier, Jean-Blaise Eckert en droit fiscal, ou encore Andreas von Planta et Jacques Iffland en droit des sociétés – les clients de Lenz & Staehelin s'adressent davantage à une enseigne qui se veut solide, cohérente et performante. Les initiale de l'étude, L&S, lui ont même valu un surnom éloquent, souffle l'un de ses membres: «Lénine et Staline! Parce que sans être un sweatshop [un atelier de misère, ndlr], nous sommes une étude où tout est dirigé vers l'efficacité, le conseil et la réactivité. Une étude qui fonctionne comme un collectif.»

Le pendant de cette logique étant une certaine culture interne de la méritocratie. «Tous ceux qui rentrent chez nous peuvent espérer devenir associé», promet Shelby du Pasquier. Et ceux qui n'y parviennent pas volent en général vers d'autres cieux. Une dynamique qui a, elle-aussi, son petit sobriquet anglo-saxon: up, or out («on monte, ou on s'en va»). «Chez Lenz, on devient associé sur la base d'une performance technique, confirme l'ancien collaborateur cité plus haut, Pas nécessairement parce qu'on ramène des clients.» 

Méritocratie, modèle intégré, compétence technique: autant de caractéristiques qui, à entendre Shelby du Pasquier, ne feraient pas pour autant de Lenz & Staehelin un monstre froid et impersonnel: «J'ai connu l'époque d'avant la fusion, avec une vingtaine d'avocats, alors que nous sommes aujourd'hui plus de 200. Un certain esprit de famille demeure, nous ne sommes pas une usine.» (Alexis Favre)


Bär & Karrer, le spécialiste du contentieux

Madoff, FIFA, Petrobras et plus récemment 1MDB ou Addax: Bär & Karrer a été très présente dans les grands dossiers de criminalité en col blanc des dernières années. C’est sur le terrain du contentieux que la petite étude genevoise – une trentaine d’avocats – rivalise avec les grands cabinets de la place. Sa spécialisation s’explique largement par des raisons historiques.

Créée en 1969 à Zurich et présente aussi à Zoug et Lugano, l’étude a ouvert une antenne genevoise en 2000, sous l’impulsion de Christophe Buchwalder, Cédric Chapuis et Saverio Lembo. Diplômé d’HEC Genève avant de bifurquer vers le droit, cet ancien de Lenz & Staehelin a au fil du temps étendu sa spécialité – la criminalité en col blanc – au sein de l’étude. Actuellement, quelque 25 avocat(e)s de l’étude située dans le quartier des banques sont actifs dans le contentieux.

L'étude refuse des mandats

Conséquence de cette forte présence dans le «white collar», l’étude refuse beaucoup de mandats, explique Saverio Lembo: «Dans l’affaire Madoff, nous avons assuré la défense de l’ancien patron d’Optimal, Manuel Echeverria. En conséquence, nous avons choisi de ne pas représenter simultanément des clients bancaires victimes de la fraude. Au-delà du conflit d’intérêt, c’était une question de crédibilité vis-à-vis des magistrats, puisque nous avions soutenu la thèse d’une fraude que personne n’avait vu venir dans le dossier Optimal.»

L’activité d’arbitrage connaît une phase de développement, depuis le recrutement en janvier dernier de Pierre-Yves Gunter, l’une des références suisses en la matière. Deux autres spécialistes de l’arbitrage, Alexandra Johnson et Aurélie Conrad Hari, également spécialisée dans le contentieux judiciaire civil, sont devenues associées à cette occasion.

En misant sur les jeunes

Ce recrutement d’un professionnel très aguerri est une exception dans la pratique de l’étude, qui mise généralement sur le développement de jeunes avocats. A l’image d’Andrew Garbarski, spécialiste en droit pénal des affaires, nommé associé en 2014, après avoir effectué son stage sous la supervision de Saverio Lembo.

Pour Lembo, le barreau a aussi été un moyen de retrouver le métier dont il rêvait à l’origine: footballeur professionnel. Ses prestations sous le maillot des juniors de Servette ne lui ont pas permis d’intégrer le haut niveau, il a néanmoins côtoyé l’élite du ballon rond en défendant l’UEFA contre le FC Sion, au début des années 2010.

Exclu de l’Europa League pour n’avoir pas respecté une interdiction de recruter, le club de Christian Constantin avait provisoirement obtenu des tribunaux étatiques d’être réintégré dans cette compétition européenne. Jusqu’à que le Tribunal Arbitral du Sport ne tranche définitivement en faveur de la fédération européenne.

Son président d’alors, Michel Platini, avait remercié l’avocat genevois en lui offrant un maillot de la Juventus, son équipe préférée, dédicacé par tous les joueurs de l’époque. L’objet, qui trône fièrement sur les murs de son bureau, marque le sommet de la carrière footballistique de Saverio Lembo. (Sébastien Ruche)