Si la demande de cadres ou de chefs d’entreprise aguerris dépasse l’offre en Suisse, cela n’est pas le cas dans les pays limitrophes. C’est du moins le constat que l’on peut établir sur l’analyse des profils des PDG en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Selon une étude d’Heidrick & Struggles International, un cabinet mondial de recrutement de dirigeants et de conseil, ces Etats privilégient davantage leurs compatriotes.
Ainsi, les grands patrons venant d’ailleurs – d’autres nations – se raréfient dans toutes les économies passées en revue dans cette enquête, intitulée «Route to the Top». La baisse la plus importante concerne la France, qui est passée de 12% de PDG de nationalité étrangère en 2011 à 9% aujourd’hui (42% en Suisse). L’étude ne mentionne pas s’il s’agit d’une sorte de repli sur soi lié à la crise secouant l’Hexagone. A l’opposé, le pays qui se distingue le plus, nonobstant sa légère baisse, est le Royaume-Uni, avec 39% d’étrangers (-2% par rapport à la précédente enquête).
En Allemagne, la part des dirigeants allochtones se monte à 32%, indique une étude du cabinet Guido Schilling. Dans les entreprises cotées sur l’indice boursier vedette DAX, elle se monte à 28%. Et même à plus de 40% chez Siemens (75% en Suisse). Le spécialiste allemand en recrutement Simon-Kucher & Partners anticipe ces prochaines années une hausse à 33%. L’Italie ne compte, elle, que 5% de patrons importés, contre 17% aux Etats-Unis.
«Gestion plus aboutie»
«Ce constat est sans doute le reflet d’une gestion des talents plus aboutie dans les pays anglo-saxons, qui se révèlent meilleurs pour développer leurs dirigeants indépendamment du niveau d’éducation, du sexe et de la nationalité», commente Olivier Boulard de chez Heidrick & Struggles. Cornelia Tänzler du cabinet de recrutement international Heads estime que la France aurait tout intérêt à s’ouvrir davantage aux compétences étrangères. «Peut-être que le pays n’en serait pas là aujourd’hui», ironise-t-elle. Si les entreprises de l’Hexagone ont toutefois fait des progrès en la matière depuis une vingtaine d’années, la grande majorité des dirigeants reste française, comme c’est par exemple le cas dans la plupart des entreprises du CAC 40, l’indice phare de la bourse de Paris.
Sous le couvert de l’anonymat, un expert suisse en ressources humaines – ayant travaillé quinze ans en France – avance une autre hypothèse pour expliquer l’écart entre la Suisse et la France. «Les Helvètes sont nettement plus orientés vers le consensus. Ce qui facilite l’intégration de candidats externes. En France, un patron étranger, surtout anglo-saxon, est perçu au mieux comme une curiosité – de surcroît en transit –, au pire comme un danger.»
«Compatibilité culturelle»
Le réflexe nationaliste ou identitaire jouerait aussi un rôle. «Dans un contexte mêlant globalisation et pénurie des talents, les conseils d’administration favorisent, à compétences égales, des PDG nationaux, faisant ainsi de la compatibilité culturelle un critère majeur d’efficacité», selon Olivier Boulard. D’après lui, l’exposition ou l’expérience internationale du candidat PDG n’est plus une nécessité dans un monde où les moyens de communication ont réduit les distances et les différences culturelles.
Autre exception française: les conseils d’administration misent davantage sur des profils surdiplômés pour choisir leur futur patron. Si les détenteurs de titres universitaires prestigieux varient entre 26% au Royaume-Uni et 38% en Allemagne, ils sont 50% en France à être issus de HEC, INSEAD, ENA ou encore Polytechnique. Les filières françaises, très élitistes, ont donc encore de beaux jours devant elles.