«Une union sacrée pour défendre la place»
interview de la semaine
Michel Dérobert voit le débat devenir trop émotionnel
Le Temps: Raiffeisen a racheté Wegelin, Safra a fait de même avec Sarasin. Sommes-nous entrés dans une nouvelle phase de consolidation?
Michel Dérobert: Cela dépendra en partie de la politique. Le Conseil fédéral avait fait un travail magnifique avec le rapport Graber sur les axes stratégiques de la politique suisse en matière de place financière. Il avait fixé quatre priorités: compétitivité, accès au marché, stabilité et réputation. Jusqu’à présent, il s’est surtout occupé de la stabilité avec la loi sur les banques «too big to fail». Il s’est constamment préoccupé de l’intégrité de la place, mais il n’intervient pas, ou beaucoup trop peu, sur la compétitivité. Et le problème de l’accès au marché n’est traité que ponctuellement. Ainsi, on rend la vie toujours plus difficile aux établissements financiers, dont les coûts augmentent. Ce qui a logiquement un effet structurel. Si on ne peut pas accéder au marché depuis la Suisse, il faut s’installer à l’étranger, mais pour y parvenir il faut déjà atteindre une certaine taille.
Il me semble que, globalement, le Conseil fédéral est trop réactif et pas assez proactif. En conséquence, la compétitivité de la place subit une évolution négative. Elle est certes en partie compensée par l’instabilité en Europe dont la Suisse et son image de stabilité bénéficient. Reste que l’évolution de la place financière dépend des conditions-cadres qu’on lui fixe et que celles-ci ne s’améliorent pas, alors que ce serait nécessaire pour compenser les concessions faites en matière d’échange de renseignements fiscaux.
Je crains qu’en tombant dans un débat émotionnel sur les banques certains ne passent à côté du vrai problème: en réduisant la compétitivité de la place, on menace les emplois, les compétences et on risque de réaliser brutalement que la finance ne compte plus pour 10% mais seulement 5% du PIB. Ce serait dramatique pour plusieurs régions, en particulier Genève et Zurich. Il faut donc une union sacrée pour défendre la place financière. Je ne suis pas là pour critiquer le monde politique. Le monde financier a fait suffisamment d’erreurs pour s’en garder. Mais vouloir imposer comme certains l’exigent des règles qui n’existent nulle part au nom d’une «weissgeldstrategie» [stratégie de l’argent déclaré, ndlr] poussée à l’absurde n’est pas responsable.
– Des menaces pèsent également sur les accords sur l’impôt libératoire («Rubik»), dont la renégociation est demandée en Allemagne…
– Nous avons soutenu ce projet qui pose une question de fond à l’Union européenne. Mais l’essentiel se joue au niveau politique. En Allemagne, on accuse Rubik d’être trop gentil avec les évadés fiscaux alors que de récentes amnisties étaient plus indulgentes. Il faut continuer de proposer Rubik à d’autres pays européens et maintenir ses caractéristiques essentielles avec les pays signataires, même si certains détails peuvent être rediscutés. Surtout, il ne faut jamais oublier que la sécurité juridique est ce qu’il y a de plus précieux en Suisse. Aucun Etat n’en dispose à ce niveau-là, et la démocratie directe fait qu’un changement de gouvernement ne peut pas bouleverser les règles.