Entre-Temps…
Alors que les employés sont la ressource la plus importante d’une entreprise, ils figurent dans le bilan comptable comme un coût et non comme un investissement

La scène se reproduit régulièrement partout dans le monde et dans toutes les entreprises. Le chef s’adresse à ses collaborateurs: «Vous êtes la ressource la plus importante de cette entreprise.» Il le croit et il a raison. En face, ses collaborateurs l’écoutent dubitatifs. Ils n’ont pas tort. Ils savent qu’à la moindre tempête la «ressource la plus importante de l’entreprise» risque d’en faire les frais.
Au cœur du problème se trouve une particularité comptable. Les employés d’une entreprise figurent dans le bilan comme un coût et non comme un investissement. En d’autres termes, ils sont du mauvais côté du compte d’exploitation. Si une entreprise emploie 100 génies ou 100 cloches, ils sont comptabilisés de la même manière, à savoir comme un coût. Une telle approche sous-estime complètement les investissements qui ont été faits dans le savoir-faire et le développement professionnel et individuel de la personne. Elle ignore aussi la perte d’expérience et de compétences quand cette personne s’en va.
Employés terriblement mobiles
Pouvait-on faire autrement? Du point de vue comptable, l’approche se justifie de deux manières. Premièrement, les employés sont terriblement mobiles. La ressource la plus importante de l’entreprise quitte la société le soir à six heures pour revenir, peut-être, le lendemain matin à huit heures. Comment comptabiliser un actif qui déambule dans les rues sordides de votre ville la nuit? Cette incertitude a d’ailleurs expliqué pourquoi, historiquement, nous sommes payés à la fin du mois après le premier exercice. C’est pour être sûr que l’on revienne.
Ensuite, et c’est l’idée centrale, les employés n’appartiennent pas à une entreprise. De ce fait, ils ne peuvent pas être comptabilisés comme un actif au même titre qu’une machine ou un bâtiment. C’est certainement correct mais cela cultive une véritable ambiguïté par rapport à la valeur des personnes. Certains économistes aiment parler de capital humain. Mais ce n’est pas ainsi qu’il est perçu dans la valorisation des entreprises. Les bourses privilégient toujours les entreprises qui ont le moins d’employés par rapport à leur chiffre d’affaires.
Les règles comptables règnent
Par exemple, Google vaut en bourse 576 milliards de dollars et emploie 72 000 personnes. Facebook vaut 390 milliards pour 15 700 employés. En comparaison, General Motors qui emploie 215 000 personnes ne vaut que 56 milliards de dollars et Ford qui en emploie 99 000 ne vaut que 49 milliards. Il y a le nombre mais aussi la compétence qui compte. Bill Gates le disait un jour: «Que vaudrait Microsoft si elle était vendue sans ses collaborateurs, un dollar?».
Pourtant les règles comptables règnent. Quand une entreprise licencie, le marché estime qu’elle réduit ses coûts et l’action monte. C’est absurde puisqu’en fait elle perd de l’expérience, de la compétence et donc de la richesse.
Finalement, il n’y a pas que la valeur vénale. Il y a celle qui résulte d’un système de valeurs partagé entre l’entreprise et le collaborateur: les attitudes, les règles écrites ou non, le respect et le vivre ensemble qui constituent la culture d’entreprise. Pour avoir de la valeur, nous avons besoin d’être valorisés. Cela implique un sentiment de proximité intellectuelle voire même affective qui se développe à tous les niveaux de l’entreprise. Comme le faisait remarquer justement Franklin D. Roosevelt: «un leader ne doit jamais aller trop loin de ceux qui le suivent…»
* Président du Conseil d’administration du «Temps»
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