Vers un nouveau tour de vis pour le secteur financier

Réglementation Le Conseil fédéral lance une consultation sur deux nouvelles lois à très large envergure

Un «monstre bureaucratique», critiquent les gérants indépendants

Deux chantiers législatifs de taille visant à encadrer le secteur financier entrent en phase de concrétisation. Le Conseil fédéral a ouvert vendredi la consultation très attendue concernant la loi sur les services financiers (LSFin) et celle sur les établissements financiers (LEFin). Celle-ci s’étendra jusqu’au 17 octobre prochain, a indiqué le Département fédéral des finances (DFF).

D’un côté, la LSFin vise avant tout à améliorer la protection des clients et à leur donner davantage de moyens d’action en cas de litiges. De l’autre, la LEFin a pour but de régler dans un seul et même acte législatif la surveillance de l’ensemble des prestataires de services financiers, qu’il s’agisse des banques, des gérants de patrimoine collectifs ou des gestionnaires de fortune indépendants. Analyse des principaux enjeux.

Les gérants indépendants seront aussi contrôlés

Le projet de loi sur les établis­sements financiers (LEFin) opère une distinction entre les gestionnaires de fortune qualifiés (gérants de fonds et de valeurs pa­trimoniales pour les institutions suisses de prévoyance) et ceux dits «non qualifiés». Ces derniers pourront opter entre une surveillance directe par la Finma et un encadrement par plusieurs organismes de surveillance.

Les gestionnaires de fortune existants pourront toutefois encore bénéficier, à titre de garantie des droits acquis, d’une «clause d’antériorité» s’ils disposent d’une expérience suffisante et se limitent à ne servir que les clients qu’ils ont déjà, a précisé le DFF.

Les principaux concernés se montrent très critiques. Selon Jean-Pierre Zuber, gérant de fortune indépendant et président de l’Association suisse des gérants de fortune (ASG), ces lois don­neraient naissance à un «monstre bureaucratique». L’Association suisse des banquiers (ASB) a, elle, jugé «nécessaire d’instaurer une surveillance appropriée des gérants de fortune indépendants».

La conformité fiscale devra être respectée

Autre point clé du projet: à l’article 11, la LEFin précise les obligations qui incombent aux établissements en matière de conformité fiscale. «Lorsqu’il accepte des valeurs patrimoniales, l’établissement financier vérifie s’il existe un risque élevé qu’elles n’aient pas été ou ne soient pas fiscalisées en violation des obligations fiscales applicables», indique l’article. En cas de doute, il doit refuser d’accepter les valeurs patrimoniales et résilier toute relation d’affaires avec les clients existants concernés.

Cette obligation tombe si les clients proviennent de pays avec lesquels la Suisse a conclu un accord d’échange automatique de renseignements fiscaux.

Prospectus «simpleet intelligible»

La loi sur les services financiers (LSFin) devrait uniformiser les prescriptions en matière de prospectus de produits proposés au public. En clair, il faudra une «feuille d’information de base» pour tout produit, rédigée dans un langage «simple et intelligible». Cette obligation d’informer devra aussi être adaptée à la situation des clients. Le prestataire qui conseille un client ou gère sa fortune devra prendre en considération les connaissances et l’expérience de celui-ci ainsi que sa situation financière.

Ces nouvelles obligations sont plus ou moins bien accueillies par les organisations concernées. L’ASG dénonce «de nouvelles exigences purement bureaucratiques qui n’apporteront aucune plus-value en matière de conseil à la clientèle et de gestion de fortune». L’ASB se dit «favorable à une révision mesurée du droit des prestations de services financiers au point de vente qui modernise la protection des investisseurs».

Davantage de moyens de défense pour les clients

Les clients doivent pouvoir se défendre en cas d’abus et ne plus renoncer à un procès par manque d’argent. Selon la LSFin, les intermédiaires financiers devront s’affilier à un organe indépendant et financer la procédure. Le Conseil fédéral propose deux solutions en cas d’échec. L’une passe par l’instauration de tribunaux arbitraux permanents comme instance unique peu chère, voire gratuite pour le client privé. L’autre variante serait d’aider les clients choisissant la procédure civile ordinaire via l’institution d’un «fonds pour les frais de procès», alimenté par les prestataires financiers.

Un concept critiqué par les banquiers, «opposés à la création d’un fonds destiné à couvrir les frais de procédure. La procédure de médiation existante, via l’ombudsman des banques suisses, est une meilleure voie à suivre et l’on peine à comprendre pourquoi un tel dispositif serait introduit exclusivement pour les prestataires de services financiers», a réagi l’ASB.

Vers des actions collectives

Le projet de loi prévoit aussi une forme d’action collective. Les clients mécontents pourront se tourner vers une association de défense des consommateurs pour une action collective, mais seulement pour faire constater la faute du prestataire. S’ils visent un dédommagement collectif, ils devront recourir à une procédure de transaction de groupe, indique la LSFin (article 105). Cette transaction pourrait ensuite être déclarée contraignante par un tribunal cantonal supérieur.

Quelle que soit la nouvelle mouture retenue à l’issue de la procédure de consultation, celle-ci n’entrera en vigueur au plus tôt qu’à partir de début 2017. Le parlement devra approuver le projet lors des sessions d’automne et d’hiver 2015, prévoit le DFF.