Le coronavirus provoque une violente correction des bourses. Son impact renforce la baisse des taux d’intérêt dans le monde et les pressions sur un système de prévoyance suisse qui peine à s’ajuster au vieillissement. «Le malaise se manifeste à travers la difficulté de faire cohabiter une grande évolution dans la pyramide des âges dans un contexte de taux d’intérêt quasi inexistants», constate Pascal Broulis, chef du Département des finances du canton de Vaud. Le conseiller d’Etat s’exprimait, jeudi soir, lors du débat sur la «tempête dans les retraites», organisé par Le Temps et qui permettait aux lecteurs de discuter des défis de la prévoyance avec quatre personnalités.

Les réponses à apporter au défi des retraites dépassent le seul système de prévoyance vieillesse. Elles doivent intégrer par exemple la santé et le marché du travail. La situation est d’autant plus complexe que différents modèles existent (primauté des prestations et des cotisations) et que la société se transforme sous l’effet par exemple de la numérisation.

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Une claire détérioration pour la classe moyenne

La détérioration semble incontestable. A cause de la baisse du taux de conversion, la diminution des rentes atteint 20 à 30% pour une personne qui part à la retraite en 2025 ou 2040 par rapport aux rentes de 2010, selon une étude de Credit Suisse. La prévoyance est ainsi la première préoccupation des Suisses.

«Je suis confiante en ce qui concerne la prévoyance professionnelle», déclare Isabelle Amschwand, présidente de la FCT Fondation Collective Trianon. «Le peuple a ancré le principe constitutionnel du maintien du niveau de vie à 60% du dernier revenu, dont 34% par l’intermédiaire de la prévoyance professionnelle. Il faut préciser que le système légal obligatoire couvre les revenus allant jusqu’à 85 320 francs en 2020 et mes propos se limitent au système obligatoire. Aujourd’hui et avec un taux de conversion légal pour le calcul de la rente de 6,8%, cette proportion s’est hissée globalement à 41% grâce à une rémunération annuelle des avoirs de vieillesse supérieure aux augmentations de salaire.» Une réduction du taux de conversion légal continuerait à respecter l’objectif constitutionnel et permettrait de tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie. Il rétablirait aussi un meilleur équilibre entre les générations.

Les marchés financiers souffrent en ce début 2020. Mais pour Pascal Broulis, «le troisième cotisant continue de faire son travail». Les bourses peuvent fluctuer, mais à long terme la hausse alimente l’épargne vieillesse.

La partie du système de prévoyance financée par la primauté des prestations devient toutefois, par exemple à Genève, un fardeau supplémentaire, dénonce Maxime Morand, fondateur de Provoc-Actions, conseiller en leadership. Ce dernier dénonce «la présence d’une classe de privilégiés, les fonctionnaires, qui profitent du financement de leur caisse de pension (en primauté des prestations) par les contribuables alors que les privés subissent de plein fouet la baisse du taux de conversion. Ni l’employeur (l’État) ni le cotisant n’ont fait correctement leur travail», à son avis.

Le fruit d’une époque de forte croissance

Les fondements du système de prévoyance sont le fruit d’une époque révolue. «Les promesses faites durant les décennies de forte croissance s’avèrent irréelles», estime Paul Dembinski, directeur de l’Observatoire de la finance. Dès lors, «des transferts et des ajustements de risque sont en train de s’effectuer. Chacun est en train de prier le bon Dieu marché ou le bon Dieu actuariel pour qu’il réalise ses espérances».

Le dossier s’alourdit aussi puisque le besoin se fait sentir d’intégrer les défis de l’assurance maladie et des prestations complémentaires. La classe moyenne en activité est donc soumise à une double pression: la collectivisation de l’épargne et la hausse des primes maladie et des prestations complémentaires. Les coutumes politiques nécessitent de saucissonner les problèmes pour les gérer, mais il est aussi important d’avoir une vision intégrée, note Paul Dembinski.

Les réformes à entreprendre doivent porter, à court terme, sur les ajustements techniques déjà identifiés (taux de conversion, abaissement de la déduction de coordination) mais aussi sur l’adaptation aux profondes mutations de la société numérique, ajoute Isabelle Amschwand. «Le marché du travail n’est plus uniquement le fruit d’un rapport entre employeur et employé, mais introduit des versions nouvelles (multiples emplois, pauses, temps partiel, free lance). Il faut commencer à avancer aujourd’hui vers la société qui émergera dans vingt ans», affirme-t-elle.

Du climat à la prévoyance

«La catastrophe climatique revient sur nos institutions et personne ne sait pas ce qui va se passer. Les mondes du travail, du leadership, de l’enseignement, de la santé, de l’administration sont des icebergs qui tournent autour de nous dans une mer chaude», indique Maxime Morand, évoquant Michel Serres, l’auteur de Petite Poucette. «Demain, les hiérarchies vont devenir des nuées d’oiseaux connectées et non plus des pyramides. Dans un vol d’oiseaux, il n’y a pas de chef. Chacun imite chacun, se déploie et garde ses distances», déclare-t-il.

Une Greta de la prévoyance s’avère-t-elle nécessaire? «Peut-être pas tout de suite», estime Paul Dembinski. Mais la fragmentation du marché du travail et le faible niveau de cotisation des indépendants, de plus en plus souvent en difficulté, sont de nouveaux problèmes. «Placer ces personnes dans une obligation de cotisation, c’est courir le risque de faire basculer une partie de la population en dessous du seuil de pauvreté», affirme-t-il.

Les pistes avancées jeudi soir portent aussi sur la fiscalité. Pour Pascal Broulis, on devrait introduire un quatrième pilier, défiscalisé, et intégrer la santé. Le pilier 3a devrait aussi offrir une plus grande flexibilité. Le montant maximum de la déduction devrait être relevé.

Rachats des enfants pour la caisse de pension de leurs parents

«L’Etat en profiterait aussi, à travers l’impôt sur la fortune et l’impôt de succession», indique le conseiller d’Etat. «On devrait aussi défiscaliser, au moins partiellement, les revenus de ceux qui travaillent au-delà de la retraite et permettre aux enfants de faire des rachats pour leurs parents, dans la caisse de pension de ces derniers», propose Isabelle Amschwand.

La prévoyance doit enfin dépasser les seules considérations monétaires. «De nouvelles formes de partage entre les générations sont possibles», confirme Isabelle Amschwand. «Nous devons faire preuve d’imagination institutionnelle et réfléchir en termes de communauté», avance Paul Dembinski. Il est possible de réfléchir par exemple à des communautés mutuelles intergénérationnelles de transmission de l’épargne avec un soutien fiscal et une adhésion volontaire.