Durant la pandémie, des technologies comme Zoom, Teams ou Skype ont permis à des millions de salariés de participer à des réunions en distanciel. Cette collaboration virtuelle pourrait bien perdurer ces prochaines années, indiquent de récents sondages. Aux Etats-Unis par exemple, 20% des journées de travail auront lieu à domicile après la fin de la pandémie, souligne une étude réalisée auprès de 1500 personnes à travers le monde et publiée ce mercredi 27 avril dans la revue Nature.

Des interactions réelles ou virtuelles

Les auteurs, des experts en marketing pour les universités américaines de Columbia et Stanford, ont voulu connaître les effets de cet abandon des interactions en présentiel sur l’innovation, autrement dit: la capacité à générer des idées nouvelles lors d’un échange – le fameux «brainstorming». Ils ont alors mené de premiers tests en laboratoire, avec 602 participants volontaires – des étudiants – jumelés de manière aléatoire. Les paires étaient soit disposées en face-à-face dans une même pièce, soit séparées dans deux espaces distants, se parlant par appel vidéo. Chaque équipe avait cinq minutes pour trouver des usages créatifs à des produits, tels qu’un frisbee ou du papier bulle, puis devait sélectionner son idée la plus créative.

L’expérience a été ensuite reproduite en entreprise auprès de 1490 ingénieurs en Finlande, en Hongrie, au Portugal, en Inde et en Israël. Lors d’ateliers dédiés au sein de leurs locaux, les groupes étaient invités à proposer des produits innovants pour leurs sociétés, spécialisées dans les télécommunications.

Résultat: les interactions réelles, en personne, produisaient environ 15% d’idées de plus que les interactions virtuelles, et 13% d’idées créatives en plus. Bonne nouvelle en revanche pour Zoom, Skype et Teams: quand les équipes devaient choisir leur meilleure idée, les échanges virtuels s’avéraient tout aussi fructueux qu’en présentiel, voire plus. Les chercheurs en ont déduit que seule la créativité était inhibée par les appels vidéo, quand d’autres compétences ne semblaient pas affectées.

Trop de concentration sur l’écran

Mais pourquoi? Des recherches précédentes ont établi un lien neurologique entre vision et concentration, et montré que, paradoxalement, «les gens sont plus créatifs quand ils sont moins concentrés», explique Melanie Brucks, professeure de marketing à la Columbia Business School et coauteure de l’étude. Pour le tester, elle a équipé ses «cobayes» d’un dispositif de suivi oculaire et a ainsi pu vérifier que les partenaires virtuels passaient presque deux fois plus de temps à se regarder que leurs homologues en face-à-face.

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Les appels vidéos concentraient l’attention sur un espace restreint – l’écran – limitant par là le processus cognitif de création. Alors qu’en face-à-face direct, les personnes partageaient tout un environnement, «plus propice à la ramification des pensées générant de nouvelles idées», développent les auteurs. Qui suggèrent non pas de supprimer les collaborations virtuelles – qui ont leurs avantages – mais de les réserver à certaines tâches précises.

Et de ne pas trop se laisser distraire, comme ce groupe d’ingénieurs de Pologne dont l’entreprise avait organisé les ateliers dans un hôtel pour séminaire. Les participants étaient manifestement «plus préoccupés par le café et les biscuits servis au bar de l’hôtel» que par le protocole expérimental, dont ils ont été finalement exclus.