Ils veulent rendre la Suisse cryptocompatible… En faire une cryptovalley, une cryptonation… Quatre portraits à lire dans «Le Temps» du 30 juillet au 3 août.

Episode précédent:

Il n’est pas Suisse. Il y passe, surtout à Zoug, plus qu’il n’y vit. Et pourtant, sans lui, le pays n’aurait peut-être pas émergé sur la carte mondiale des cryptomonnaies aussi rapidement. Lui, c’est Vitalik Buterin, qui dit aujourd’hui résider chez Cathay Pacific Airways, tant il se déplace.

A 24 ans, ce Russo-Canadien est déjà l’un des personnages les plus emblématiques de ce nouveau monde «crypto». Il faut dire que celui qui figure parmi les 40 personnalités de moins de 40 ans qui comptent selon Forbes, a été initié jeune. C’est son père qui lui présente le bitcoin alors qu’il a 17 ans. Le jeune Vitalik n’y croit pas trop. Quelle monnaie sans valeur intrinsèque a-t-elle des chances de subsister? Aucune. On est en 2011. Le bitcoin a alors deux ans d’existence environ. C’est le délire d’un petit nombre d’initiés et son cours n’a pas encore décollé.

L’horreur de la centralisation

Puis, à y repenser, pourquoi pas? L’entrepreneur dit ne pas savoir vraiment ce qui l’a fait reconsidérer son point de vue. Il était sorti de sa phase World of Warcraft, le jeu en ligne, et cherchait peut-être un autre sujet d’obsession, a-t-il expliqué à Wired en 2016. D’autant que c’est à ce moment-là qu’il réalise les «horreurs que peuvent provoquer les services centralisés». La recherche de la décentralisation – que permettent justement les cryptomonnaies – devient un principe qui le guide dans toutes ses recherches.

Né à Moscou, il a émigré avec ses parents au Canada à l’âge de 6 ans et n’a en tout cas aucun problème pour comprendre le fonctionnement d’une nouvelle technologie dont peu de gens ont encore entendu le nom. Très tôt, il apparaît comme un enfant largement plus doué que la moyenne en maths et en informatique. Il est accueilli dans une école pour enfants à haut potentiel et, même là, détonne par ses capacités.

Piges contre bitcoins

Ses doutes sur le bitcoin éclipsés, mais sans argent et sans matériel informatique pour «miner» – processus qui permet de créer des bitcoins en résolvant des calculs mathématiques –, Vitalik Buterin cherche d’autres moyens de se procurer de cette nouvelle monnaie. Il finit par découvrir un magazine en ligne qui rémunère ses pigistes 5 bitcoins par article (environ 3,50 dollars à ce moment-là, plus de 40 000 dollars au cours de cette semaine).

C’est le début d’une histoire qui va s’enchaîner extrêmement rapidement. En moins de deux, le journaliste en herbe est repéré par un Roumain, Mihai Alisie (qui vit désormais en Suisse), qui lui propose de fonder Bitcoin Magazine. Devenu référence, ce média lui permet de voyager d’une conférence à l’autre et de rencontrer les pionniers du bitcoin, ceux qui travaillent à l’amélioration ou aux applications de la blockchain, la technologie qui sous-tend la cryptomonnaie.

Changer de blockchain

Vitalik Buterin commence en parallèle des études à Waterloo (Ontario), qu’il n’achève pas. Au lieu de cela, il met toute son énergie sur la cryptomonnaie, dont la fièvre l’a définitivement contaminé. Il dépense sa réserve de bitcoins, puis une bourse offerte par l’entrepreneur Peter Thiel de 100 000 dollars pour poursuivre son enquête sur les travaux autour de la blockchain. Puis, après avoir visité nombre de geeks et étudié leurs projets, il en arrive à sa conclusion: tout le monde travaille à l’amélioration de la blockchain, à ses applications, qui, toutes, reviennent à alourdir son infrastructure. C’est une nouvelle blockchain qu’il faut créer.

A son retour, il écrit son white paper, présentant les contours de la blockchain telle qu’il l’imagine, l’envoie à quelques connaisseurs et s’attend un peu à être moqué pour avoir raté des défauts évidents. Rien de tout cela ne se produit. Au contraire, ils sont nombreux à vouloir collaborer à ce qui deviendra l’ethereum, une blockchain qui permet de coder dans plusieurs langages informatiques, de créer des smart contracts (contrats qui s’auto-exécutent quand certaines conditions sont remplies), entre autres.

La première ICO

Ce sera finalement avec Joseph Lubin, un Canadien, que l’entreprise sera fondée. Ce dernier a d’ailleurs une façon bien à lui de décrire son associé: un alien génie, arrivé sur cette planète pour nous amener le sacro-saint cadeau de la décentralisation, a-t-il expliqué à Wired. Un alien, un génie, qui peut aussi être repéré dans un train portant des chaussettes Hello Kitty dépareillées, comme le raconte un autre entrepreneur des cryptomonnaies. Ce n’est pas tout: capable de parler mandarin couramment en l’espace de quelques jours, enfant prodige autiste, androïde fabriqué par le réseau Ethereum, buveur de thé vert par millions de litres, Vitalik Buterin fait délirer l’imagination des cryptopionniers.

Pour financer le développement de l’ethereum, l’équipe réalise ce qui est désormais courant mais pas encore connu sous ce nom, une ICO (initial coin offering, soit une levée de fonds en échange de jetons) en septembre 2014 et crée ainsi l’ether, qui deviendra la deuxième cryptomonnaie la plus importante après le bitcoin. L’argent récolté (31 000 bitcoins) permet de créer la Fondation Ethereum, installée à Zoug, dont le rôle est de superviser les développements du logiciel Ethereum, qui est open source.

A 1,24 dollar au moment du lancement, l’ether a atteint son record à 1267 en janvier dernier. Cette semaine, il s’échangeait un peu en dessous de 450 dollars. Ce qui reste une plus-value conséquence pour ceux, comme ses fondateurs, qui ont investi dès les débuts. Même si l’enrichissement n’a jamais semblé être la motivation première de l’entrepreneur. Dans un tweet de rappel à l’ordre alors que toutes les cryptomonnaies flambaient en fin d’année dernière, Vitalik Buterin s’est insurgé: il faut «différencier entre gagner des centaines de milliards de dollars en fortune numérique et accomplir quelque chose de significatif pour la société». Une réflexion essentielle, sans laquelle il est prêt à quitter le cryptomonde.


Profil

1994 Naissance en Russie.

2000 Arrivée au Canada.

2011 Cofonde «Bitcoin Magazine».

2015 Création de la Fondation Ethereum à Zoug.