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Les chercheurs démontrent que le retraité regrette de ne pas avoir assez épargné. Les causes de ce déficit sont moins psychologiques qu’une sous-estimation des risques de divorce et de chômage

A la retraite, l’heure est parfois aux regrets. L’épargne vieillesse est souvent inférieure à ce que l’individu espérait, selon des chercheurs de l’Institut Max-Planck, à Munich, et de Rand Corp., à Santa Monica. Ces économistes parlent de «regret d’épargne». Ils se sont penchés sur le sujet dans «Saving Regret», une étude publiée en novembre dernier par le très réputé NBER, un organisme de recherche privé et neutre.
L’évaluation du besoin d’épargne nécessaire pour ses vieux jours est incontestablement compliquée. L’incertitude sur l’environnement économique à court et à long terme ainsi que les chocs qui interviennent durant la vie de l’épargnant ne peuvent pas être anticipés avec précision. Qui peut savoir s’il sera durablement au chômage ou s’il aura un grave problème de santé?
Les effets politiques
Les raisons de ce sentiment de regret doivent absolument être analysées pour en déduire, au besoin, une réponse politique. Si les causes sont psychologiques et liées à une tendance à la procrastination, c’est-à-dire au désir de remettre au lendemain ce qui aurait dû être accompli aujourd’hui, les autorités seraient incitées à accroître la partie obligatoire du système de prévoyance vieillesse.
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Si, en revanche, le regret d’épargne est le résultat de chocs économiques, tels qu’une longue période de chômage, un grave problème de santé ou un divorce, la réponse politique doit être complètement différente. C’est un travail d’information et d’éducation qu’il faut accomplir, ou un renforcement des assurances sociales contre le chômage et l’invalidité.
Le regret d’épargne est majoritaire
Dans ses recherches, l’étude utilise un sondage américain auprès des 60 à 79 ans (Rand american life panel). Entre 61 et 67% des personnes interrogées déclarent regretter de ne pas avoir épargné davantage. Ceux qui n’ont pas pu indiquer une catégorie de dépenses qu’ils auraient pu réduire pour accroître leur épargne ne sont que 6 à 9% à revoir leur réponse sur le regret d’épargne si la question leur est posée une deuxième fois.
L’étude du NBER en déduit que 59% des 60 à 79 ans auraient souhaité épargner davantage. Il peut être facile d’exprimer un souhait d’épargne, mais plus difficile de limiter sa consommation. Les chercheurs vont au-delà des simples paroles exprimées lors d’un sondage. Ils tentent de mesurer la richesse, le revenu, le niveau de vie, les facteurs psychologiques et sociaux, soit l’ensemble des éléments susceptibles d’influencer le regret d’épargne. Pour le niveau de revenu, c’est clair. Les hauts revenus regrettent moins souvent de ne pas avoir assez épargné que la moyenne.
En fait, 66% de ceux qui ont un regret d’épargne ont subi un choc économique tel que le chômage (contre 43% pour ceux qui se disent «sans regret») et 38% d’entre eux ont été surpris par le faible niveau des allocations. Les chocs économiques (positifs ou négatifs) déterminent donc une grande part des écarts et sont une cause majeure du regret d’épargne, selon les auteurs. A l’inverse, la contribution des traits psychologiques tels que la tendance à la procrastination est très modeste, selon les auteurs.
Les économistes sont divisés
En réalité, la littérature économique n’est pas unanime sur le sujet. Une étude de Scholz, Seshadri et Khitatrakun (2006) estimait que 80% des ménages américains épargnaient au moins autant que l’exigeait leur cycle de vie et que le manque d’épargne des vingt autres pour cent était modeste. Un travail de Hurd et Rohweddder (2012) concluait même que 75% des retraités disposaient d’une épargne positive jusqu’à leur décès.
Les retraités d’Allemagne, d’Italie et du Japon auraient même excessivement épargné, selon diverses recherches (Börsch-Supan 2001, Brugiavini et Padula 2001, Kitamura, Takayama et Arita (2003).
La nouvelle étude du NBER ne montre pas seulement que la fréquence des regrets d’épargne est nettement majoritaire. Elle se penche sur les raisons des mauvaises estimations des épargnants. Les individus ont tendance à surestimer leurs finances futures en raison de deux phénomènes. Le premier est celui d’une illusion de contrôle des événements extérieurs et le deuxième d’une illusion de supériorité par rapport à la moyenne. Chacun a donc tendance à sous-estimer la probabilité d’un événement négatif.
Le risque de chômage est nettement plus élevé qu’on ne croit. Les baby-boomers américains ont subi en moyenne 5,6 périodes de demande d’emploi entre 18 et 48 ans. Leur probabilité d’être chômeurs au moins trois fois s’élève à 70%, selon l’office statistique américain (BLS). La probabilité d’un divorce dans les vingt ans après un premier mariage atteint 48% pour les femmes et 44% pour les hommes entre 2006 et 2010.
Une assurance divorce?
Il n’est pas aisé de s’assurer davantage contre ces risques. D’ailleurs, s’il existe une assurance chômage, il n’y a pas de protection contre le risque de divorce. Du moins pour l’instant. En effet, une start-up américaine, SafeGuard Company, basée au Delaware, est en train de lever des fonds afin d’être la première compagnie d’assurances à offrir une telle garantie. Sur son son site, on trouve même un calculateur de la probabilité d’un divorce.
L’étude du NBER sur le regret d’épargne conclut à l’irrationalité de l’individu. En effet, ce dernier doit faire des choix financiers. Mais s’ils ne sont pas bons, une personne rationnelle ne devrait pas les regretter.
Tous les pays ne sont pas égaux en matière d’épargne. Un rapport du World Economic Forum cité par le Financial Post estime que chacun devrait épargner entre 10 et 15% du revenu. Mais dans la plupart des pays, le taux d’épargne est extrêmement bas. Il vient par exemple de tomber à 0,8% au Canada alors qu’il était de 7,3% en moyenne depuis 1981. Sur ce plan, la Suisse fait partie des bons élèves. Le taux d’épargne des couples de moins de 65 ans avec enfants est estimé à 16,3%, et celui des ménages monoparentaux à 8,5%. Rien ne prouve pourtant que le regret d’épargne n’existe pas en Suisse.